L’impact de la viande rouge : entre environnement et santé
Un poids lourd dans les émissions de gaz à effet de serre
La consommation de viande rouge est régulièrement pointée du doigt pour son impact sur l’environnement. Selon les données compilées par Our World in Data et relayées notamment par le blog Bon Pote, l’élevage destiné à la production de viande contribue à environ 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour donner un ordre de comparaison, le secteur aérien représente environ 5 % des émissions globales.
Toutes les sources de protéines animales n’ont cependant pas le même impact. Le bœuf se distingue particulièrement : sa production génère jusqu’à dix fois plus d’émissions que d’autres sources comme la volaille, le poisson, les œufs ou même le porc. Cette disproportion s’explique par plusieurs facteurs : le méthane émis par les ruminants, la déforestation liée à l’élevage extensif et la grande quantité de ressources nécessaires pour nourrir ces animaux.
Des risques avérés pour la santé
L’impact de la viande rouge ne se limite pas à l’environnement : il touche aussi la santé humaine. Plusieurs travaux de recherche (Larson & Orsini, 2014 ; Pan, 2012 ; Sinha, 2009), analysés dans la revue d’Allison & Silva (2016), montrent une association entre une consommation élevée de viande rouge et une augmentation de la mortalité toutes causes confondues.
En 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé la viande transformée (charcuterie, jambon, saucisses, etc.) comme cancérogène avérée (groupe 1), et la viande rouge comme cancérogène probable (groupe 2A) (CIRC Monographie, vol. 114).
Les chiffres sont parlants :
- Consommer 50 g de viande transformée par jour ou 100 g de viande rouge par jour augmente de 17 % le risque de développer un cancer colorectal au cours de la vie.
- La consommation régulière de viande rouge est également associée à d’autres cancers, notamment du pancréas, de la prostate et de l’estomac.
L’effet protecteur d’un remplacement alimentaire est également documenté. Une étude européenne (Ibsen et al., EPIC InterAct Study, 2020) a montré que substituer 50 g de viande rouge par jour par des noix, des céréales complètes ou des produits laitiers pouvait réduire significativement le risque de diabète de type 2, avec une estimation de 8 à 9 % de nouveaux cas évités.
En Belgique, une étude menée par The Shifters a estimé que si la population respectait les recommandations nutritionnelles concernant la viande rouge, cela permettrait non seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 1,4 million de tonnes de CO₂ par an, mais aussi d’éviter environ 1 000 cas de cancers colorectaux chaque année (soit une baisse de 10 %).
Faut-il supprimer complètement la viande rouge ?
On pourrait penser qu’arrêter totalement la consommation de viande rouge permettrait à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de limiter les risques sanitaires. Mais avant d’arriver à une telle conclusion, il est utile de s’intéresser à la réalité de nos paysages agricoles.
Wallonie, territoire jalonné de prairies
D’après les données du Centre d’études SYTRA, dirigé par Philippe Barret, environ 44 % du territoire wallon est couvert de surfaces agricoles. Parmi elles, 52 % sont des prairies, sur lequelles des vaches paissent . À titre de comparaison, seulement 20 % des surfaces agricoles sont dédiées à l’alimentation humaine d’origine végétale. Dans le détail : 5 % des surfaces sont consacrées aux pommes de terre et 5 % aux betteraves destinées à l’alimentation humaine.
Les prairies : peu gourmandes en pesticides
Ces chiffres deviennent particulièrement parlants lorsqu’on les met en relation avec l’usage des produits phytosanitaires. En Wallonie, les prairies utilisent une quantité infime de pesticides par rapport à d’autres cultures.
À l’inverse, les betteraves et pommes de terre, qui représentent seulement 10 % des surfaces agricoles, concentrent à elles seules 55 % des pesticides utilisés sur le territoire.


Ainsi, remplacer les prairies par des cultures destinées à l’alimentation humaine aurait une conséquence probable : une hausse significative de l’utilisation de pesticides. Autrement dit, si les prairies sont aujourd’hui fortement liées à l’élevage et à la production de viande rouge, elles constituent néanmoins des surfaces agricoles relativement intéressantes du point de vue environnemental, car elles contribuent à limiter l’usage global de produits chimiques.
Autres atouts environnementaux
Les prairies jouent un rôle essentiel dans nos paysages, notamment pour la biodiversité. Très répandues et souvent riches en espèces, elles offrent à de nombreux animaux des zones d’abri et des ressources alimentaires variées. Associées à d’autres éléments comme les haies, les arbres, les arbustes ou encore les mares, elles forment un ensemble de milieux écologiques diversifiés, indispensables au maintien de la biodiversité végétale et animale (CELAGRI, 2021).
Elles constituent également une barrière efficace contre l’érosion et le lessivage. Comparées à des terres cultivées, les prairies présentent un risque de perte en sol jusqu’à dix fois inférieur. Elles limitent ainsi fortement le transfert de nitrates et de pesticides vers les eaux souterraines, tout en réduisant les phénomènes d’érosion, tels que les inondations et coulées de boue. Ceci est particulièrement vrai pour les prairies pâturées qui ont une meilleure structure de sol que les prairies fauchées
Un autre avantage souvent méconnu concerne leur rôle dans le stockage du carbone. On associe généralement ce service écologique aux forêts. Pourtant, dans nos climats tempérés, une forêt stocke entre 100 et 250 tonnes de carbone par hectare, tandis qu’une prairie bien gérée peut en accumuler entre 50 et 150 tonnes par hectare. Même si les forêts restent légèrement supérieures en capacité de stockage, les prairies représentent donc des puits de carbone loin d’être négligeables, étant donné qu’elles occupent 50% du territoire (CELAGRI, 2021). Le maintien de ce potentiel suppose toutefois une gestion adaptée, notamment en évitant le surpâturage.
La présence d’animaux contribue à maintenir ces milieux ouverts, faisant de l’élevage extensif l’une des méthodes les plus efficaces pour préserver les prairies. Dans l’ensemble, ces écosystèmes jouent un rôle clé dans la qualité de l’eau potable, la qualité de l’air, la présence de pollinisateurs, la biodiversité et même la régulation du climat (CELAGRI, 2021).
Polyculture-élevage : un élément clé en agro-écologie
Un large consensus existe aujourd’hui sur l’importance de combiner surfaces cultivées et élevage au sein d’exploitations engagées dans l’agriculture biologique ou l’agroécologie. Pour développer une agriculture davantage ancrée dans son territoire et générant moins d’impacts environnementaux, comme le promeut l’agroécologie, l’intégration cultures–élevage apparaît comme un levier central (Peterson, 2020 ; Kronberg, 2021).
L’élevage permet en effet de réduire considérablement les besoins en intrants externes grâce à l’utilisation du fumier produit sur place, qui fertilise directement les parcelles. Cette complémentarité limite les apports de nitrates provenant de l’extérieur. Les prairies pâturées favorisent un stockage accru de carbone dans le sol, enrichissent la biodiversité microbienne, améliorent la structure du sol, sa capacité de rétention d’eau et réduisent l’érosion.
Cette intégration réduit également la dépendance aux importations de fourrages. Dans les élevages spécialisés, le fourrage provient souvent de l’extérieur, tandis que dans les systèmes mixtes, il est produit localement, ce qui favorise l’autonomie économique des agriculteurs. À l’inverse, les fermes uniquement céréalières ne peuvent pas fonctionner en agriculture biologique sans apport de fumier, les intrants y étant largement limités ou interdits.
Les données scientifiques montrent que les fermes en polyculture-élevage stockent en moyenne un tiers de carbone supplémentaire dans leurs sols par rapport aux exploitations strictement céréalières, tout en améliorant leur impact sur la biodiversité (Peterson, 2020). Ces bénéfices coexistent avec les émissions de gaz à effet de serre, notamment le méthane lié à l’élevage de ruminants, déjà évoquées plus haut. Néanmoins, la polyculture-élevage demeure un modèle à encourager : elle favorise un élevage plus autonome, plus économe en intrants et globalement plus cohérent avec les objectifs agroécologiques.
Et dans l’assiette, ça donne quoi ?
Sur le plan nutritionnel, la composition de l’alimentation des ruminants influence directement celle de leur viande. Plusieurs études montrent une différence notable de composition nutritionnelle entre la viande issue d’animaux nourris majoritairement à l’herbe et celle provenant d’animaux nourris avec des céréales (Nogoy, 2022). La viande « grass-fed » (nourrie à l’herbe) est en général moins grasse, présente une teneur plus faible en graisses totales et offre un profil lipidique plus favorable, avec davantage d’acides gras polyinsaturés oméga-3 — notamment les EPA et DHA — et moins d’acides gras saturés. Elle affiche ainsi un profil nutritionnel considéré comme plus protecteur sur le plan cardiovasculaire.
Cependant, ces avantages ne suffisent pas à contredire les nombreuses études épidémiologiques mentionnées plus haut, qui montrent qu’une consommation élevée de viande rouge est associée à une augmentation des maladies cardiovasculaires, de certains cancers et d’autres risques sanitaires. Néanmoins, lorsque l’on compare deux types de viande rouge, celle issue d’animaux principalement nourris à l’herbe sera la plus intéressante d’un point de vue nutritionnel.
Conclusion
En conclusion, il apparaît nécessaire de réduire drastiquement notre consommation de viande rouge, tant pour des raisons sanitaires que climatiques — ces dernières étant particulièrement préoccupantes. Pour la part résiduelle de viande consommée, privilégier une viande locale, issue d’élevages biologiques et nourrie à l’herbe constitue un choix plus cohérent. Certaines initiatives, comme le label « C-durable » en Wallonie, permettent d’ailleurs d’identifier les fermes engagées dans des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
Cet réflexion a été présentée lors de la journée d’étude « L’Alimentation durable, un levier indispensable pour une démarche de santé ? », organisé par la Maison de l’Alimentation Durable (MAD) en Province de Namur, le CLPS Namur, la Ville de Namur et Canopea.
Bibliographie
Larsson, S. C. & Orsini, N. (2013). Red meat and processed meat consumption and all-cause mortality: a meta-analysis. American Journal of Epidemiology 179, 282-289. DOI:10.1093/aje/kwt261 europepmc.org+2tabledebates.org+2
Sinha, R., (2009). Meat Intake and Mortality: A Prospective Study of Over Half a Million People. Archives of Internal Medicine 169, 562-571. DOI:10.1001/archinternmed.2009.6 JAMA Network+2tabledebates.org+2
Pan (2012). Red Meat Consumption and Mortality: Results From Two Prospective Cohort Studies. Archives of Internal Medicine 172, 555-563. DOI:10.1001/archinternmed.2011.2287 europepmc.org+3PMC+3tabledebates.org+3
Allison-Silva, (2016). Human risk of diseases associated with red meat intake: Analysis of current theories and proposed role for metabolic incorporation of a non-human sialic acid. Molecular Aspects of Medicine 51, 16-30. DOI:10.1016/j.mam.2016.07.002 PMC
Ibsen, (2020). Replacement of Red and Processed Meat With Other Food Sources of Protein and the Risk of Type 2 Diabetes in European Populations: The EPIC-InterAct Study. Diabetes Care 43(11), 2660-2667. DOI:10.2337/dc20-1038
CELAGRI (2021). Les atouts environnementaux des prairies en Wallonie.
Peterson, C.A. (2020). Commercial integrated crop-livestock systems achieve comparable crop yields to specialized production systems: A meta-analysis. PLoS One.
Kronberg, L. (2021). Closing nutrient cycles for animal production – Current and future agroecological and socio-economic issues. Animal, 15(S1).


