Introduction
Origine de l’eau du robinet
Tout d’abord, il faut savoir que l’eau qui coule de nos robinets vient à 85% des nappes phréatiques souterraines tandis que les 15% restants sont puisées dans les eaux de surface comme par exemple, la Meuse à Profondeville ou des lacs formés par les grands barrages (ex : la Vesdre à Eupen). L’eau, en s’infiltrant dans le sol, traverse plusieurs couches qui la filtre naturellement de certaines impuretés, polluants ou micro-organismes. C’est pour cela, qu’en théorie, plus l’eau provient d’une nappe souterraine profonde, plus elle sera de meilleure qualité et protégée de la pollution.

Une fois les eaux superficielles pompées ou les eaux souterraines captées, elles sont éventuellement traitées puis stockées dans des réservoirs ou châteaux d’eau. A partir de là, elles sont dirigées dans un réseau de canalisations de plus en plus petites jusqu’au robinet du consommateur.
Contrôles et législation
La Direction générale opérationnelle, Agriculture, Ressources naturelles et Environnement du service Public de Wallonie (D.G.A.R.N.E.) nous explique que l’eau est très contrôlée et qu’elle doit répondre « aux exigences de qualité imposées par la législation européenne et wallonne. Ainsi, elle ne doit contenir aucun micro-organisme, aucun parasite ni aucune substance constituant un danger potentiel pour la santé des personnes ; elle doit également être conforme vis-à-vis d’un ensemble de normes de potabilité ».(1)
Elle nous apprend aussi que le cadre réglementaire européen en matière d’eau potable est la directive européenne 98/83/CE. Ce cadre réglementaire a été transposé dans le Code de L’eau wallon (articles D.180 à D.193, et articles R.252 à R.270). Ce code de l’eau impose d’analyser 84 paramètres classés en trois catégories : les paramètres microbiologiques, les paramètres chimiques et les paramètres indicateurs.
Pour finir, un plan d’urgence est prévu en cas d’événement à risque défini comme « tout fait altérant ou pouvant altérer la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine ». Ce plan d’urgence a pour but la correction du problème, restriction d’utilisation, voire interruption pure et simple de l’alimentation en eau.
Zoom sur ce qui est analysé dans l’eau potable de nos robinets
Comme nous venons de le dire plus haut, 84 paramètres sont donc normalement analysés. Nous pouvons voir sur le site du service public de Wallonie que la (D.G.A.R.N.E.) se veut tout à fait rassurante concernant les paramètres microbiologique (bactéries, virus et parasites), la concentration en nitrates, la dureté de l’eau ainsi que son pH. (1) Par contre, il n’y a pas d’information quant à la présence ou non de polluants tels que pesticides, métaux lourds, résidus médicamenteux, perturbateurs endocriniens et leurs effets sur la santé humaine.
Trouve-t-on des médicaments dans l’eau du robinet que nous buvons ?
Lorsqu’une personne ou un animal ingère un médicament, une partie n’est pas totalement utilisée ou dégradée par l’organisme. Ils sont appelés « résidus de médicaments » qui seront excrétés dans les selles et les urines. Ils pourront ainsi rejoindre les réseaux des eaux usées ou l’environnement.
On peut retrouver des résidus de médicaments dans les milieux aquatiques et l’environnement en général, à partir de différentes sources (2) :
– les rejets des eaux usées : après collecte dans les réseaux d’assainissement et à la sortie des stations de traitement ;
– les rejets d’effluents issus d’activités d’élevage : soit directement dans le milieu (activités piscicoles par exemple) ou par ruissellement, après épandage sur les sols agricoles ;
– vient s’ajouter à ces deux premières sources celle des médicaments directement jetés « à l ‘évier » plutôt que d’être ramenés en pharmacie pour le recyclage.
Une vaste étude internationale a recherché la présence de 61 résidus médicamenteux dans 258 rivières de 104 pays à travers le globe (3). Les résidus de carbamazépine, de metformine et de caféine étaient les plus fréquemment retrouvés. Ils ont été retrouvés dans plus de la moitié des sites analysés. Dans un quart des échantillons, l’on retrouvait au moins un résidu médicamenteux (RM) à une concentration supérieure à celle jugée sans danger pour les organismes aquatiques ou présentant un danger au niveau de l’antibiorésistance. Dès lors, l’étude conclut que la pollution médicamenteuse représente un réel danger aussi bien environnemental, pour la santé humaine que pour les objectifs de développement durable de l’ONU. Or, nous avons vu que les eaux de surface servent parfois à la consommation humaine ou sont puisées dans les nappes phréatiques après y avoir percolé. Dès lors, on peut se demander si l’on retrouve ces résidus médicamenteux dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH).
En 2011, la France a lancé son premier « Plan National sur les Résidus de Médicaments dans l’Eau » (2) suite au constat de la présence d’antibiotiques, antidépresseurs, bétabloquants mais aussi médicaments à usage vétérinaire dans ses milieux aquatiques. Le constat ne s’arrête malheureusement pas là puisque 25% des échantillons d’EDCH étaient positifs à la présence d’une à quatre molécules. Hormis la caféine, les plus fréquemment retrouvés étaient la carbamazépine (un antiépileptique) et son principal produit de dégradation, ainsi que l’oxazépam (un anxiolytique)Et en Wallonie ?
Le programme Imhotep en Wallonie (4) a analysé la présence éventuelle de 54 RMs dans 1413 échantillons qui ont été prélevés et analysés en Wallonie.
« Il s’agit de représentants de 7 familles thérapeutiques à usage humain et/ou vétérinaire (6 analgésiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), 7 antibiotiques, 5 antiparasitaires, 11 cardiovasculaires, 4 neuroleptiques, 1 antiulcéreux et 2 diurétiques), de 3 métabolites de RMs, de 6 hormones et de 2 agents de contraste iodés utilisés en imagerie médicale. Quatre pesticides ont également été dosés afin de mettre en évidence les activités agricoles. Trois molécules caractéristiques des activités humaines (la caféine, la cotinine et le triclosan) ont aussi été dosées afin de mettre en évidence les activités dites domestiques. »
Ils ont, assez logiquement, retrouvé des quantités de plus en plus faibles de RMs au fur et à mesure du trajet de l’eau vers notre robinet (sortie des stations d’épurations d’eaux usées, eaux de surface, eaux souterraines non surveillées, eaux souterraines surveillées, eaux souterraines potabilisables puis enfin l’eau après potabilisation).
Voici le tableau, pour les eaux de surface, des concentrations en RM’s avant et après traitement de potabilisation (filtration par charbon actif et/ou mélange des eaux) qui donne donc une idée de l’efficacité de des procédés de potabilisation de l’eau.Voici le tableau, dans le cas des eaux souterraines, des concentrations en RM’s avant et après traitement de potabilisation (filtration par charbon actif et/ou mélange des eaux) qui donne donc une idée de l’efficacité de des procédés de potabilisation de l’eau.

Les auteurs concluent que les eaux de surfaces et souterraines sont bien contaminées par des résidus médicamenteux, mais que les traitements de potabilisation permettent de diminuer cette présence. Ils terminent en affirmant : « Aucun risque toxicologique relatif à ces résidus de médicaments n’a été mis en évidence. »
Le point de vue des auteurs se veut donc tout à fait rassurant. Si l’on décide, cependant, de voir les choses du point de vue de la précaution, quelques réflexions sortent de ces résultats :
Premièrement, nous pouvons voir que sur 44 RM’s ou pesticides recherchés dans les eaux brutes 28 sont retrouvés pour les eaux de surface et 18 pour les eaux souterraines. Nous y retrouvons des représentants de chaque famille de médicament testés.
Ensuite, après traitements de potabilisation, au robinet nous retrouvons des traces de 17 RM’s à de très faibles quantités : 10 RM’s [1] différents viennent des eaux de surface et 13 RM’s [2] des eaux souterraines. (.
Antibiotique | Clarithromycine |
Analgésiques/AINS | Paracétamol Hydroxyibuprofène tramadol |
Cardiovasculaire | irbésartan aténolol (un bétabloquant) Sotalol hydrochlorothiazide (diurétique) |
Neurologique | carbamazépine (antiépileptique) et un métabolite (carbamazépine 10,11-epoxide) venlafaxine (antidépresseur) |
Agent de contraste | ioméprol |
Traceurs d’activité domestique | Caféine (café) Cotinine (tabagisme) |
Traceurs d’activité agricoles | La bentazone le MCPA ou acide 2-méthyl-4-chlorophénoxyacétique isoproturon et le BAM ou 2,6-dichlorobenzamide (qui est un produit de dégradation du dichlobenil) |
[1] clarithromycine, hydroxyibuprofène,aténolol,irbésartan,carbamazépine,ioméprol, caféine et cotinine, MCPA, bentazone et BAM
[2] paracetamol, tramadol, sotalol, irbesartan, carbamazépine et son métabolite (carbamazépine 10,11-epoxide), venlafaxine, hydrochlorothizide, isoproturon, bentazone, 2,6 dichlorobenzamide (traceurs des activités agricoles), de la caféine et de la cotinine (traceurs des activités domestiques)
Quel effet potentiel sur la santé humaine ?
Analyse de risque des auteurs de l’étude Imhotep
Les auteurs concluent :
« Les risques pour la santé humaine liés à la présence de 17 RM’s (sur les 44 RM’s suivis) ont été évalués en comparant les concentrations maximales mesurées dans les eaux potabilisables, traitées, distribuées ou embouteillées, aux valeurs guides illustratives minimales qui ont été tirées de la littérature. Pour ces 17 RM’s […]aucun risque n’a été mis en évidence pour la santé humaine. L’évaluation des risques n’a pas mis non plus en évidence la nécessité de réaliser un monitoring régulier de ces 17 RM’s dans les eaux traitées, distribuées ou en bouteille. L’analyse de risque a montré qu’il faudrait évaluer la pertinence d’inclure le monitoring de la carbamazépine dans celui des eaux brutes d’origine souterraines.[…]. Vu les résultats extrêmement rassurant obtenus lors de cette analyse de risques, il semble peu utile d’étendre cette analyse aux autres RMs étudiés lors du projet IMHOTEP. En effet, à l’heure actuelle il semblerait qu’il n’y ait pas assez de données permettant d’établir des DJT fiables pour ces RMs. L’approche simple basée sur la comparaison des concentrations maximale aux doses journalières admissibles permet d’avoir un premier aperçu de la situation. »
Discussion sur la conclusion des auteurs
Tout d’abord, les auteurs, faute de seuils ou valeurs toxicologiques bien établies sur le risque d’ingestion chronique de résidus médicamenteux, basent leur calcul du risque pour la santé humaine sur la notion de VGi. Or, ils sont bien conscients du peu de pertinence que l’on peut apporter à ces « Valeurs Guides illustratives ». En effet, ils disent à propos de ces VGi : « Cette valeur guide (VG) est qualifiée d’illustrative car elle ne doit pas être suivie par les producteurs d’eau potable. En effet, ni l’OMS ni l’Union européenne n’ont pour l’instant émis de VG pour l’un ou l’autre RM. » ainsi que « Les variations importantes observées pour les VGi issues de la littérature indiquent donc que les conclusions qui peuvent être tirées de l’analyse de risque se basant sur ce type de données sont à considérer avec beaucoup de précautions, une incertitude importante existant sur la VGi. ».
Il semble donc que se baser sur ces valeurs non reconnues soit dangereux pour établir l’innocuité d’un composé chimique auquel serait soumis un humain tout au long de sa vie.
Deuxièmement, 17 RM’s, herbicides et traceurs d’activités domestiques ont donc en effet été retrouvés dans les ECDH. Les auteurs proposent un tableau avec 17 VGi mais qui ne correspondent que partiellement à ces 17 substances retrouvées. En effet, voici le tableau des VGi proposé dans lequel nous ne retrouvons que 8 des résidus retrouvés dans nos eaux de robinets.

Il n’y a donc aucune VGi proposée pour plus de la moitié de ces RMs, à savoir : la clarythromycine, l’irbésartan, l’hydrochlorothiazide, la caféine et cotinine ainsi que les quatre herbicides.
Pour finir, il semblerait que comme souvent, les auteurs confondent une absence de données (« En effet, à l’heure actuelle il semblerait qu’il n’y ait pas assez de données permettant d’établir des DJT fiables pour ces RMs ») avecune absence de risque pour la santé humaine (« Vu les résultats extrêmement rassurant obtenus lors de cette analyse de risques, il semble peu utile d’étendre cette analyse aux autres RMs étudiés lors du projet IMHOTEP »).
Prenons l’exemple de l’isoproturon. Il n’existe aucune donnée sur la toxicité chronique chez l’homme. Par contre, c’est un cancérigène suspecté), comme on peut le voir sur la fiche toxicologique de l’INRS :
Apports de la littérature
Déjà en 2011 lors du lancement de son premier « Plan National sur les Résidus de Médicaments dans l’Eau (PNRM) (2) » mis à jour en mars 2022, le ministère chargé de la santé et le ministère chargé de l’écologie concluent à propos des RM’s présents dans les eaux potables :
-Les hormones de synthèse ou d’autres composés qui agissent comme des hormones, même à très petites doses ont des effets potentiels. De nombreuses observations, telle la « féminisation » des poissons, confirment le risque environnemental associé à ces substances, même si les effets observés peuvent résulter de molécules à effets perturbateurs endocriniens qui ne sont pas des médicaments (pesticides, métaux, retardateurs de flamme…). Ainsi la faune aquatique connaît aujourd’hui des diminutions de population importantes.
– Les interactions possibles avec d’autres polluants déjà présents dans les milieux aquatiques (par exemple chimiques ou pesticides), appelées parfois effet « cocktail », constituent un sujet de préoccupation qui à ce jour n’a pas encore reçu de réponses claires.
– A ces différents éléments vient s’ajouter la préoccupation du renforcement de l’antibiorésistance des bactéries dans l’environnement, mises en contact prolongé et répété avec des résidus d’antibiotiques.
Ces éléments indiquent un risque émergent qui nécessite de définir une stratégie sur le moyen terme afin d’agir, en anticipation, avant d’être confrontés à des problèmes environnementaux ou de santé avérés. »
Dans son avis « Évaluation des risques sanitaires liés à la présence de résidus de médicaments dans les eaux destinées à la consommation humaine : méthode générale et application à la carbamazépine et à la danofloxacine », l’Anses conclut par :
« Le risque lié à l’ingestion via les EDCH des deux médicaments et du métabolite étudiés dans le cadre de cette expertise est jugé négligeable. Toutefois, afin d’établir des valeurs toxicologiques de référence robustes pour une exposition chronique par voie orale, l’Agence souligne la nécessité de disposer d’études de toxicité chronique pour les résidus de médicaments mais aussi pour leur métabolites et produits de transformation pertinents. Au-delà, la question de l’évaluation des risques de tels résidus s’inscrit également dans la problématique générale de la prise en compte des effets éventuels des mélanges de substances à faible dose. »
Conclusion
Il existe des milliers de molécules différentes de médicament à usage humain en Belgique et des centaines à usage vétérinaire ainsi que plusieurs centaines de pesticides différents autorisés en Europe. Même si l’on ne parle ici que des résidus de médicaments et non d’ autres substances chimiques, nous avons vu que les eaux de surfaces (rivières, lacs, barrages) sont largement polluées à travers le monde.
L’étude Imhotep en Wallonie a recherché la présence de 54 de ces résidus de medicaments (RM’s) dans nos différents milieux aquatiques. Environ un tiers (17) de ces RM’s se retrouvent à l’état de trace dans l’eau potabilisée que nous consommons quotidiennement. Les traitements d’épuration et de potabilisation de l’eau sont donc efficaces mais présentent leurs limites. En plus des dégâts sur l’environnement (5), la question des effets de ces RM’s se pose donc aussi pour la santé humaine. Bien que les quantités de ces RM’s retrouvés dans les EDCH soient infimes, cela reste une préoccupation pour la santé humaine et cela pour plusieurs raisons :
– Certaines molécules comme les hormones (ou les perturbateurs endocriniens) peuvent agir à des concentrations extrêmement faibles.
– Il est très difficile d’avoir une idée précise des interactions (mélanges) entre tous ces RM’s ou d’autres molécules déjà présentes (effet cocktail) dans le milieu.
– Il y a un manque crucial d’études sur la toxicité chronique de ces RM’s sur l’homme ainsi que sur des seuils toxicologiques de référence robustes.
– Tout le monde boit de l’eau, du nourrisson à la personne âgée. Ces seuils, lorsqu’ils seront établis, ne prendront pas en compte les particularités individuelles.
– La présence prolongée d’antibiotiques dans ces milieux pose aussi la question du renforcement de l’antibiorésistance.
Ces résidus médicamenteux sont également la conséquence de l’usage de médicaments sur le territoire. Une politique de santé, axée sur la prévention et les alternatives non médicamenteuses, permettrait de réduire grandement les usages de médicaments.
Sources
1. Qualité des eaux distribuées par le réseau public [Internet]. [cité 28 déc 2022]. Disponible sur: http://environnement.wallonie.be/de/eso/eau_distribution/index.htm
2. Delaporte S. Lancement du Plan National sur les Résidus de Médicaments dans l’Eau (PNRM).
3. Pharmaceutical pollution of the world’s rivers.pdf.
4. IMHOTEP_RF_180807.pdf.
5. Médicament et environnement, la régulation du médicament vis a vis du risque environemental. Conseil général de l’environnement et du développement durable, novembre 2010