Nous avons été invités à participer à une audition parlementaire le 24 juin 2025 sur les effets sanitaires des pesticides – voici le contenu de notre intervention
Le 24 juin 2025, nous avons eu l’honneur de représenter la cellule Environnement de la Société scientifique de médecine générale (SSMG) lors d’une audition parlementaire consacrée aux effets sanitaires des pesticides. Notre cellule, composée de 17 professionnels de la santé issus de différentes disciplines (médecins généralistes, santé publique, sciences de l’environnement, gynécologie, agronomie), agit sans conflit d’intérêts, dans une approche scientifique, rigoureuse et éthique.
Notre objectif était clair : défendre la santé publique, en particulier celle des plus vulnérables – les enfants, les femmes enceintes, les agriculteurs – face aux risques bien documentés liés à l’exposition aux pesticides. Cet engagement est partagé par un grand nombre de professionnels : plus de 2 000 d’entre eux ont déjà signé notre appel
Le compte-rendu avancé est disponible sur le site du parlement de Wallonie.
Chaque jour, sans même y penser, nous sommes exposés à une multitude de substances chimiques. Parmi elles, les pesticides occupent une place inquiétante. Loin de se limiter aux champs agricoles, ils s’invitent dans nos assiettes, nos corps… et même dans la vie prénatale.
80 % de notre exposition passe par… l’alimentation
Quand on parle d’exposition aux pesticides, on pense d’abord à l’air ou à la peau, mais c’est l’alimentation qui constitue la principale voie d’exposition : environ 80 %. Cela commence dès le plus jeune âge. Une étude de l’ANSES (France) a montré que 100 % des compotes et fruits cuits testés contenaient des résidus de pesticides, y compris du glyphosate, du fludioxonil et des pesticides de type PFAS. Le constat est identique dans d’autres aliments du quotidien. Du TFA, un produit de dégradation des PFAS, a été retrouvé dans le pain, les céréales, et bien plus fortement que dans l’eau de pluie ou potable.
Des pesticides dans le corps des enfants
Les études de biomonitoring menées en Europe, et notamment en Wallonie (Belgique), sont sans appel : tous les enfants testés présentaient des traces de pesticides dans leurs urines. On y retrouve notamment : le TCP, un métabolite du chlorpyrifos (insecticide interdit dans l’UE) ; l’AMPA, produit de dégradation du glyphosate ; des pyréthrinoïdes, insecticides couramment utilisés. Autrement dit, la contamination est généralisée, y compris chez les femmes enceintes. Des pesticides ont même été retrouvés dans le sang, le lait maternel, les selles des nouveau-nés.
Des effets inquiétants sur le cerveau en développement
Les impacts sur la santé sont aujourd’hui solidement documentés, par exemple l’exposition prénatale aux pesticides organophosphorés est liée à une baisse du QI, des troubles du développement neurologique, tels que le TDAH et les troubles du spectre autistique ainsi que des cancers pédiatriques (leucémies, tumeurs du système nerveux central). Selon une étude européenne, 13 millions de points de QI sont perdus chaque année en Europe à cause de l’exposition prénatale aux pesticides. Cela représente plus de 50 000 cas de déficience intellectuelle. L’impact sociétal est colossal.
Les agriculteurs également touchés
L’exposition professionnelle aux pesticides n’est pas sans conséquence pour les agriculteurs non plus. Une revue systématique montre que ceux qui manipulent des pesticides présentent des risques accrus de cancer du poumon, cancer de la prostate, de myélomes multiples et de cancer du côlon. Certains pesticides affectent l’ADN, les gènes, les hormones. L’exposition chronique finit par impacter lourdement la santé de ces professionnels. Le glyphosate reste emblématique de cette exposition. Bien qu’il soit encore largement utilisé, il remplit au moins 8 des 10 critères définissant un perturbateur endocrinien. Des études récentes montrent qu’il favorise l’apparition de tumeurs, même à des doses dites « admissibles ».
Un point aveugle très préoccupant est la sous-estimation des coformulants, ces substances « inertes » qui composent pourtant jusqu’à 99 % de certains produits pesticides. Peu étudiés, souvent opaques et non listés officiellement, ils peuvent contenir des substances hautement toxiques, comme des métaux lourds, PFAS, hydrocarbures aromatiques polycycliques, dioxyde de titane, arsenic ou plomb. Des études indépendantes montrent que la toxicité globale du produit fini est souvent plus élevée que celle de la seule molécule active.
Des effets scientifiquement établis, mais encore sous-estimés
Perturbateurs endocriniens : un défi sanitaire et politique majeur
Une large partie de notre intervention a porté sur les perturbateurs endocriniens, dont la toxicité échappe aux règles classiques de la toxicologie :
- Leur danger dépend de la période d’exposition : le fœtus et le jeune enfant sont particulièrement vulnérables, notamment durant les 1 000 premiers jours de vie.
- Ils suivent des courbes dose-réponse non linéaires, parfois inversées ou en cloche, ce qui rend leur évaluation complexe.
- À très faibles doses, ils peuvent interagir avec des récepteurs cellulaires et produire des effets biologiques notables. On parle ici de niveaux de l’ordre de 10⁻¹², soit une cuillère à soupe diluée dans 1 000 piscines olympiques.
- Les effets peuvent être épigénétiques et transgénérationnels : l’exposition d’un fœtus peut modifier l’expression des gènes transmis aux générations suivantes, comme démontré avec le diéthylstilbestrol ou le bisphénol A.
- Enfin, le phénomène de cocktail est crucial : même si chaque molécule prise isolément est en dessous des seuils toxiques, leur interaction produit des effets synergiques puissants, encore largement sous-évalués.
Il est temps d’agir
La communauté scientifique est claire : les effets des pesticides sur la santé sont réels, démontrés et préoccupants. Comme le soulignait récemment l’Agence européenne pour l’environnement, « il n’a jamais existé, dans toute l’histoire industrielle, une situation où des médecins auraient autant averti sans que le danger ne soit avéré ».
La société paie un prix élevé pour l’inaction. Une étude du professeur Trasande (mandatée par l’Endocrine Society) chiffre à 157 milliards d’euros par an le coût des perturbateurs endocriniens en Europe, essentiellement à cause de leur impact sur le système neurologique. Le chiffre pourrait grimper à 300 milliards si l’on inclut les cancers non encore considérés.
Que faire maintenant ?
- Protéger les captages d’eau en interdisant la pulvérisation à proximité.
- Protéger les riverains, notamment les enfants.
- Interdire certains pesticides PFAS aux effets bien documentés.
- Former les médecins sur les risques chimiques et environnementaux.
- Aider les agriculteurs à faire évoluer leurs pratiques, car ils ne sont pas responsables de ce système et méritent notre soutien.
En conclusion
Les preuves s’accumulent, les alertes sont lancées. La balle est désormais dans le camp des décideurs. Il est urgent de mettre fin à cette dette de santé collective causée par les pesticides. L’agriculture de demain devra être protectrice de la santé humaine. Et cela commence aujourd’hui.