L’augmentation inquiétante des cas d’autisme
28 juillet 2020
Sarah De Munck

Nous assistons au cours de ces dernières années à une augmentation plus que préoccupante de la prévalence de l’autisme. Selon le Centre pour le Contrôle et la Prévention des Maladies (CDC pour Centers for Disease Control and Prevention), la plus importante agence fédérale pour la santé publique aux Etats-Unis, un enfant sur 250 était porteur du diagnostic en 2001. En 2018, il s’agirait d’un enfant sur 59 ! Dans les années 70, la prévalence était estimée à seulement 3 sur 10 000 personnes.

Explications

Cette augmentation explosive peut cependant être expliquée par divers facteurs. Un sociologue de la Columbia University de New York, Peter Bearman, a essayé d’en éclaircir les causes. 25% de cette augmentation, selon lui, serait due à un élargissement des critères diagnostiques. 15% de l’augmentation est attribuée à une vigilance plus importante de la part des parents et des praticiens. Le regroupement géographique serait responsable de 4% de l’augmentation. Ceci s’explique probablement par le fait que les spécialistes, attirés par les associations de parents impliqués dans la pathologie de leurs enfants, diagnostiqueront plus facilement d’autres enfants de cette agglomération. Finalement, 10% de l’augmentation est expliqué par le changement des comportements sociaux et de leurs implications biologiques : les enfants nés de parents âgés de plus de 35 ans ont plus de risque d’être porteur de la maladie. 46% de l’augmentation reste donc inexpliqué.      

La plupart des scientifiques s’accordent à dire que l’augmentation de la prévalence de l’autisme est bien réelle, et qu’au moins une partie de l’explication se trouve dans notre environnement.

Les causes d’autisme

Les causes d’autisme font encore débat, cependant peu s’opposent à l’idée qu’elles seraient tant génétiques que environnementales, et certains auteurs proposent l’hypothèse d’une interaction entre ces facteurs génétiques et environnementaux pour expliquer la maladie. Il y a par ailleurs très peu d’éléments qui plaident pour des facteurs d’origine post-natale. Un enfant est autiste dès sa naissance, ou du moins le syndrome se déclare-t-il dans les 2 premières années de vie.

Il n’y a en effet plus de doute concernant la part importante de la génétique dans l’autisme depuis la mise en évidence d’une plus grande concordance de diagnostic chez des jumeaux monozygotes que chez des jumeaux dizygotes (les jumeaux monozygotes proviennent de la fécondation d’un même ovule, alors que les jumeaux dizygotes ou « faux jumeaux » sont issus de 2 ovules différents fécondés par 2 spermatozoïdes différents et n’ont donc pas le même patrimoine génétique). Depuis, plus de 100 gènes sont connus pour augmenter le risque d’autisme.

Cependant la génétique n’explique pas tout, et certainement pas cette augmentation des cas aussi fulgurante : le patrimoine génétique humain ne peut pas se modifier aussi rapidement. De plus en plus d’experts recherchent une cause environnementale. De nombreuses hypothèses plus ou moins plausibles ont été  avancées, telles qu’un faible apport en vitamine D et acide folique, une infection pendant la grossesse comme le virus de la rubéole par exemple, l’utilisation de médicaments pendant la grossesse, l’exposition aux métaux lourds tels que le mercure ou l’exposition aux rayons électromagnétiques. Mais peu d’études vraiment sérieuses ont pu confirmer ces hypothèses.

Alors à quoi sommes-nous plus exposés qu’au siècle dernier pour pouvoir expliquer une augmentation aussi rapide de la prévalence de l’autisme ? Aux pesticides et autres nouvelles molécules chimiques, évidemment.

Pesticides et Perturbateurs endocriniens

Une étude rétrospective menée en Californie a relié les adresses de domicile de 970 mères avec un enfant autiste à une base de données agricole. En effet, la loi californienne oblige les agriculteurs à rapporter quels types de pesticides ils pulvérisent, où et quand. Les résultats sont stupéfiants : environ une mère sur 3 vivait, lors de sa grossesse, à moins de 1,5 km d’une zone d’épandage agricole d’organophosphates. Vivre proche d’un milieu pulvérisé d’organophosphates pendant la grossesse augmente le risque d’avoir un enfant autiste de 66%, surtout si l’exposition se fait au 3ème trimestre de la grossesse. Pour le cas du chlorpyrifos, un organophosphate neurotoxique et ayant des effets perturbateur endocrinien sur la thyroïde, c’est le deuxième trimestre qui est le plus à risque.        
Cette étude confirmait d’autres études antérieures. Il reste encore à évaluer si certains sous-groupes sont plus sensibles que d’autres, mais la conclusion est sans appel : il faut protéger les femmes enceintes de ces molécules chimiques.

Un autre argument en faveur d’une cause liée aux perturbateurs endocriniens est l’épidémiologie du syndrome : l’autisme est quatre fois plus fréquent chez les garçons que chez les filles, ce qui indiquerait que les hormones sexuelles joueraient probablement également un rôle dans la maladie.

Si le lien de causalité n’est pas encore clairement démontré, il est cependant biologiquement plausible. Les mécanismes biologiques peuvent en effet être déduits des modèles animaux ou in vitro. Les études ont montré que l’exposition aux perturbateurs endocriniens résultait en une diminution des taux d’hormones thyroïdiennes. D’ailleurs, pour créer un modèle animal autiste, on induit un manque d’hormones thyroïdiennes.

Et nous savons que beaucoup de ces polluants passent dans le liquide amniotique dans lequel baigne le fœtus pendant la grossesse.                  
Donc l’exposition aux perturbateurs endocriniens avant la naissance pourrait modifier l’expression des gênes, altérer des voies neuronales et ainsi induire des comportements autistiques.

J’habite en ville, je suis donc moins à risque ?

Malheureusement non ! Une étude publiée en 2015 corrobore d’autres études ayant déjà été menées auparavant sur la pollution de l’air. Une étude prospective ayant suivi 245 enfants avec un trouble du spectre autistique (TSA) et 1522 enfants sans TSA a estimé leur exposition à la pollution selon le l’adresse de résidence des mères pendant la grossesse.

Ils conclurent qu’une exposition maternelle augmentée aux particules fines PM2.5 (PM pour « particle matter » en anglais, ce sont des particules en suspension de diamètre inférieur à 2,5 µm) pendant la grossesse, et particulièrement au troisième trimestre, était associé à une chance plus grande d’avoir un enfant autiste. Les particules fines sont omniprésentes et d’origines diverses. En ville, elles sont principalement issues du trafic routier.

A nouveau, les mécanismes en jeu sont biologiquement possibles : les particules fines induisent in vitro un stress oxydatif au niveau de la cellule et des dommages mitochondriaux.

La hausse des cas d’autisme est bien réelle, ainsi que celle des cas de troubles de l’attention et de dyslexie. Sachant que notre génome ne peut se modifier aussi rapidement, les causes sont certainement au moins en partie environnementales. Les scientifiques sont donc de plus en plus nombreux à plaider pour le principe de précaution, c’est-à-dire de ne pas attendre que tout soit scientifiquement prouvé pour prévenir les risques. Certes, nous ne pourrons jamais totalement contrôler notre environnement et la réglementation politique tarde, mais quelques gestes simples du quotidien peuvent déjà avoir un impact important sur l’avenir de nos enfants.

Sources

  • K. Weintraub. Nov. 2011. The prevalence puzzle : Autism counts. Nature, vol. 479, pp. 22–24, Nov. 2011.
  • S. A. Currenti. Mar. 2010. Understanding and Determining the Etiology of Autism, Cellular and Molecular Neurobiology, vol. 30, pp. 161–171, Mar. 2010.
  • Shelton JF, Geraghty EM, Tancredi DJ, Delwiche LD, Schmidt RJ, Ritz B, Hansen RL, Hertz-Picciotto I. 2014. Neurodevelopmental disorders and prenatal residential proximity to agricultural pesticides: the CHARGE study. Environ Health Perspect 122:1103–1109
  • S. Marí-Bauset, C. Donat-Vargas, A. Llópis-González, A. Marí-Sanchis, I. Peraita-Costa, J. Llopis-Morales, and M. Morales-Suárez-Varela. Nov. 2018. Endocrine Disruptors and Autism Spectrum Disorder in Pregnancy : A Review and Eva- luation of the Quality of the Epidemiological Evidence. Children, vol. 5, Nov. 2018.
  • Raz R, Roberts AL, Lyall K, Hart JE, Just AC, Laden F, Weisskopf MG. 2015. Autism spectrum disorder and particulate matter air pollution before, during, and after pregnancy: a nested case–control analysis within the Nurses’ Health Study II cohort. Environ Health Perspect 123:264–270

Merci à Sarah De Munck pour ses magnifiques infographies !