Perturbateur endocrinien, une définition toute politique !
3 octobre 2020
Sarah De Munck

La Commission Européenne avait pour mission d’établir les critères d’une définition des perturbateurs endocriniens pour 2013. L’enjeu est énorme, tant pour les industries chimiques que pour les défenseurs de la santé et de l’environnement : en effet, c’est sur cette définition que devront s’appuyer les scientifiques pour identifier une substance comme perturbateur endocrinien ou non.

C’est finalement 3 ans plus tard qu’une première proposition est déposée, mais il faudra attendre fin 2017 pour qu’elle réunisse une majorité́, et celle-ci ne fait certainement pas l’unanimité́ dans la communauté́ scientifique.

En effet, comme l’explique Stéphane Horel, journaliste d’investigation, c’est dans la définition-même des perturbateurs endocriniens que les lobbies ont la plus grande marge de manœuvre pour agir dans leur intérêt : plus la définition est restrictive, plus grande est la liberté d’action des industriels. Voici finalement les critères qui ont été approuvés par la Commission Européenne en décembre 2017:

—  Un perturbateur endocrinien provoque des effets négatifs sur un organisme intact ou sa descendance, à savoir un changement dans la morphologie, physiologie, la croissance, le développement, la reproduction ou la durée de vie d’un organisme, un système ou une (sous-)population qui résulte d’une altération de la capacité fonctionnelle, une altération de la capacité de compenser un stress supplémentaire ou une augmentation de susceptibilité à d’autres influences

—  Un perturbateur endocrinien a un mode d’action endocrinien, c’est-à-dire qu’il altère une ou des fonctions du système endocrinien

—  L’effet négatif est la conséquence du mode d’action endocrinien.

Dans sa défintion, l’OMS décrit (déjà en 2002 !) le perturbateur endocrinien comme « une substance exogène ou un mélange qui altère une ou des fonctions du système endocrinien et, par conséquent, cause des effets négatifs dans un organisme intact, ou sa descendance ou des (sous-)populations ».

Pour la Commission, le perturbateur doit avoir un mode d’action endocrinien, ce qui réduit évidemment le nombre de molécules en jeu : une substance agissant sur une protéine de transport par exemple, qui ne fait à proprement parler pas partie du système endocrinien, mais qui a des répercussions sur la fonction du système endocrinien, ne rentre donc pas dans la définition !  
Par ailleurs, vu que le mode d’action fait maintenant partie de la définition, il faudra démontrer ce mode d’action, ce qui allongera le délai avant de pouvoir certifier qu’une substance est un perturbateur endocrinien. Cette démonstration est couteuse et difficile : à qui en reviendra le financement, les industriels, les pouvoir publics, l’université ?

Comme l’illustre si bien le Dr Jean-Pierre Bourguignon, il ne faut pas comprendre le mécanisme de pesanteur pour se reculer du bord de la falaise et se protéger du risque de chute, c’est du bon sens !       

Mais les lobbys gagnent : de nombreuses substances échapperont donc encore longtemps à la réglementation des perturbateurs.

Dans son livre « Intoxication – Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé » paru en 2015, Stéphane Horel enquête brillamment sur l’influence des lobbies sur les prises de décisions politiques. Jouant sur l’incertitude liée aux perturbateurs endocriniens, des scientifiques ayant des liens avec l’industrie chimique créent une controverse concernant la corrélation entre perturbateurs endocriniens et leurs effets sur la santé. Ils qualifient leurs publications de « sound science », « science sensée, objective », l’opposant au principe de précaution ; le débat bloque la situation, justifiant l’absence de décision du pouvoir politique – car comment se décider si déjà les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux ?

 Faut-il vraiment mettre en balance les pertes économiques de l’industrie chimique avec le coût sanitaire ? Outre l’impact individuel et familial liés aux perturbateurs endocriniens, le coût sociétal est lui aussi très élevé. L’équipe de la chercheuse Martine Bellanger a évalué en 2015 le coût des troubles neuro-comportementaux liés à une exposition aux perturbateurs endocriniens : ils avoisineraient pour l’Europe plus de 150 milliards d’euros par an. Ce chiffre souligne davantage l’importance de contrôler – au plus tôt ! – l’exposition aux perturbateurs endocriniens.

Sources

  • S. Horel, Intoxication, Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé. La découverte, 2015.
  • J.-P. Bourguignon, Perturbateurs endocriniens, comment les cerner pour s’en protéger? Mardaga, 2019
  • M. Bellanger, B. Demeneix, P. Grandjean, R. T. Zoeller, and L. Trasande, “Neu- robehavioral deficits, diseases, and associated costs of exposure to endocrine- disrupting chemicals in the European Union,” The Journal of Clinical Endo- crinology and Metabolism, vol. 100, pp. 1256–1266, Apr. 2015