Le coût des perturbateurs endocriniens
28 avril 2020
Sarah De Munck

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des molécules capables d’interagir avec notre système hormonal et ils ont pour conséquence une augmentation de l’incidence de maladie ou des dysfonctions d’organes. Par exemple le bisphénol A est un PE car il interagit avec un récepteur oestrogénique, et altère la production d’insuline, provoquant ainsi une augmentation du risque de diabète de type 2. Leonardo Trasande a coordonné une étude ayant pour but de quantifier le coût économique qui peut être raisonnablement attribué à l’exposition aux perturbateurs endocriniens dans l’Union européenne. Ils ont estimé que l’exposition aux PE coute chaque année 157 milliards d’euros, c’est-à-dire 1,23% du PIB de l’UE. Comment sont-ils arrivés à ces chiffres colossaux ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans cet article.

Probabilité de causalité

Ils ont convoqué plusieurs panels d’experts chargés de lister les molécules perturbatrices du système endocrinien les plus étudiées, ainsi que les maladies qu’elles sont suspectées de provoquer.

Dans la recherche sur les perturbateurs endocriniens, des liens de causalité au sens strict du terme n’ont pas toujours été établis. Cela est dû aux propriétés inhérentes aux PE (effets à très faibles  doses, expositions  prénatales  entrainant des maladies à l’âge adulte…) combinées aux exigences nécessaires à la confirmation d’un lien de causalité. Afin de prendre cette incertitude en compte, ils ont établi par consensus un pourcentage de probabilité que cette molécule provoque effectivement la maladie, en s’appuyant sur les données épidémiologiques et toxicologiques disponibles. Par exemple, les organophosphates ont une probabilité de 70-100% de causer une perte de QI ; alors que les PBDE ont une probabilité de 40-69% de causer une cryptorchidie.

La table 4 résume les liens entre les molécules et les pathologies associées.

Calcul du coût attribuable

Le calcul du coût attribuable à la maladie provoquée par les PE, est calculé comme suit :

Le coût attribuable = taux de maladie X fraction attribuable X taille de la population X coût par cas.

Taux de maladie : Prévalence d’une maladie.

Fraction attribuable : Le pourcentage de patients atteints d’une maladie qui serait évitée si le facteur environnemental était réduit à son plus faible niveau, c’est-à-dire la prévalence d’un facteur de risque multiplié par le risque relatif de maladie à la suite de cette exposition.

Taille de la population : taille de la population à risque.

Le coût par cas : correspond aux dépenses (calculé sur la vie entière) attribuables à une maladie particulière (coût de soins de santé, coût de la réhabilitation, et perte de productivité). Il comprend les coûts directs et indirects. Les couts directs sont la quantité de ressources qui pourrait être allouée ailleurs en l’absence de la maladie (hospitalisations, services médicaux, infirmerie, traitements,). Les coûts indirects sont la valeur de la perte de production des travailleurs (incapacité, perte de productivité, mort prématurée…)

Quelles molécules sont inclues ?

Les chercheurs ont choisi les quelques molécules ayant le plus de preuves scientifiques. Seule une dizaine de molécule sur les milliers suspectées ont été inclues.

Si ces noms ne vous semblent pas familiers, ils sont cependant communs et vous y êtes exposés quotidiennement.

Les PBDE sont les polybromodiphényléthers… Il s’agit de molécules principalement utilisées pour ignifuger les matériaux. Ils fonctionnent comme des retardateurs de flamme et sont supposés limiter les incendies (il a cependant déjà été démontré que leur utilisation ne diminuait pas les risques d’incendies) (1). Les mousses des mobiliers en sont imbibées, et sont présents dans quasi tous les matériaux électroniques. Comme ils sont liés de manière non-covalente aux matériaux, on les retrouve en quantité importante dans les poussières de maison. Ils ont la capacité d’interagir avec le métabolisme de la thyroïde.

Polybromés

Le bisphénol A est une molécule retrouvée dans les plastiques, sur les tickets de caisse (thermo-imprimables) et les revêtements intérieurs des canettes et des boites de conserve. Il interagit avec le métabolisme des  œstrogènes et augmente le risque de maladies cardio-vasculaires et de diabète.

Bisphénol A

Les phtalates sont des molécules utilisées notamment dans les plastiques afin d’augmenter leur souplesse. On les retrouve dans les rideaux de douche, le PVC, les cathéters, les gants, les jouets mais aussi dans certains parfums (fragrance) et déodorants. Ils induisent une féminisation en inhibant la testostérone.

Phtalate

Les pesticides organophosphorés sont des molécules encore utilisées dans l’agriculture de nos jours (chlorpyrifos, …) mais aussi dans des shampoings anti-poux ou des sprays insecticides. Ils provoquent une neurotoxicité et perturbent le développement neurologique des enfants. Des liens avec le lymphome non hodgkinien, et la maladie de parkinson ont également été mis en évidence.

Pesticide organophosphoré

Quelles maladies sont inclues ?

Une liste de problèmes de santé probablement causées par ces perturbateurs endocriniens a été établie :

  • Perte de points de QI et déficit intellectuel
  • Autisme
  • Trouble de l’attention
  • Obésité infantile
  • Obésité chez l’adulte
  • Diabète
  • Cryptorchidie
  • Infertilité masculine
  • Mortalité associée à la baisse de testostérone

Cette liste n’est ni complète ni exhaustive. Elle résume les pathologies qui étaient les plus fortement attribuées aux molécules étudiées et oublie l’immense majorité des liens suspects.

Quel bilan ?

Trasande et son équipe ont estimé que l’exposition aux PE coute chaque année 157 milliards d’euros, c’est-à-dire 1,23% du PIB de l’UE. Les simulations les plus optimistes, utilisant les plus faibles probabilités de causalité donnent une estimation de 109 milliards d’euros.

Chaque année, 13 millions de points de QI sont perdus dû à l’exposition prénatale aux organophosphates. Cette exposition provoque chaque année également plus de 50 000 cas de déficits intellectuels, 300 cas d’autisme et 20 000 cas de TDAH (trouble de l’attention et hyperactivité).

L’exposition aux phtalates, en diminuant la fertilité masculine, induit 600 000 recours à une assistance à la procréation chaque année en Europe. Cette même exposition, via la diminution de la testostérone cause 24 800 morts chaque année, ainsi que 54 000 cas d’obésité, et 20 000 cas de diabète chez les femmes.

Le bisphénol A provoque 42 000 cas d’obésité infantile, coutant au total 1,54 milliards d’euros.

Les coûts les plus importants sont liées à la perte de QI et aux déficits intellectuels dûs à l’exposition aux organophosphates (146 milliards d’€). En deuxième place, l’obésité attribuée aux phtalates coute 15,6 milliards d’€ par an.

Conclusion

Les chiffres avancés par Trasande sont absolument colossaux, et étonnamment peu médiatisés.   Le plus inquiétant est que les chiffres évoqués dans ces calculs tiennent seulement compte des liens entre exposition et problème de santé pour lesquelles nous avons le plus de preuves, mais ne comptabilisent pas tous les polluants qui n’ont pas encore été étudiées… Ce qui entraine une probable sous-estimation importante du cout des perturbateurs endocriniens.


1.            Trasande L, Zoeller RT, Hass U, Kortenkamp A, Grandjean P, Myers JP, et al. Estimating Burden and Disease Costs of Exposure to Endocrine-Disrupting Chemicals in the European Union. J Clin Endocrinol Metab. avr 2015;100(4):1245‑55.

2.            Erne V, Henry E, Laurent B, Pichery C, Pomade A, Vergnaud JC. Evaluation des risques liés à l’exposition aux retardateurs de flamme dans les meubles rembourrés – Partie 1: Efficacité contre le risque d’incendie des retardateurs de flamme dans les meubles rembourrés. France, Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail,; 2014.https://www.anses.fr/fr/system/files/SUBCHIM2011sa0132Ra-01.pdf