En matière de pesticide et de santé, de nombreuses vérités générales sont souvent déclamées. Cet article tente d’apporter un peu de clarté dans ce sujet complexe. Nous essaierons de comprendre les tenants et aboutissants de cette problématique, afin de mettre en lumière ses zones d’ombre.
Quand on parle de pesticides, on se réfère à plus de 300 molécules différentes.(1) Ces molécules sont évaluées via deux types d’études :
- les études en laboratoire, avant mise sur le marché, ce sont celles qui mènent à l’approbation ou non de la molécule
- les études en conditions réelles, qui observent l’impact sur l’environnement et sur l’utilisateur, après mise sur le marché.
Dans cette problématique j’ai relevé plusieurs points qui m’interpellent et d’autres qui ne me tracassent pas. Les voici :
Ce qui m’inquiète
L’indépendance de la recherche
Avant la commercialisation de tout pesticide à l’échelle européenne, chaque molécule est bien évidemment évaluée via un rapport de toxicité à destination de l’EFSA (European Food Safety Agency). Ce rapport doit dresser le profil toxicologique de la molécule, sur un modèle animal : propriétés physico-chimiques, métabolisme et cinétique, toxicité aigüe et chronique, cancérogénicité, mutagénicité et reprotoxicité (CMR).
Le problème est que c’est le fabricant de la molécule qui doit fournir ces informations. C’est donc Bayer, GSK ou Monsanto qui doivent déterminer si leur molécule est nocive pour l’environnement ou pour la santé humaine. Il y a déjà ici un sérieux conflit d’intérêt. L’exemple de l’analyse de la terbuthylazine par l’EFSA, un pesticide peu connu mais très utilisé en Belgique est disponible ici : (https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/sp.efsa.2016.EN-919). L’EFSA émet une inquiétude concernant l’un des métabolite de la terbuthylazine, et demande donc à l’industrie phyto-pharmaceutique (Bayer et consors) de fournir plus d’études sur celui-ci…
Un groupe de chercheurs (2) a d’ailleurs démontré que le financement d’une étude influence son résultat. Ils ont remarqué que les études financées par des industries vont plus souvent avoir une conclusion rassurante que la même étude ayant un financement sans intérêt industriel. Étonnés ?
Les études de faible qualité
Les études après mise sur le marché sont souvent biaisées, et ce pour plusieurs raisons :
Si cette molécule se dégrade rapidement, elle sera depuis longtemps non-mesurable dans l’environnement ou dans le corps, lorsque apparaitra une maladie.
Établir un lien entre les pathologies et la molécule est donc très complexe, surtout si cette maladie est assez commune, comme le cancer du sein, l’autisme ou le Parkinson. A l’inverse, un cas très connu celui du DES (Diéthylstilbestrol, voir article sur le sujet), qui a provoqué un cancer rarissime (cancer du vagin). Ce cancer extrêmement rare habituellement a alerté la communauté scientifique qui a pu facilement établir un lien rétrospectivement.
De plus un organisme n’est jamais exposé exclusivement à une seule molécule chimique, nous faisons face à un cocktail quotidien de xénobiotiques. En multipliant les agressions extérieures, on augmente le risque d’avoir un effet sur la santé. Donc en augmentant le flou et les biais potentiels, on diminue la possibilité de mettre en évidence un lien de causalité.
Tout cela mène au fait que les études qui cherchent à prouver la toxicité d’une molécule ont de grandes chances de ne jamais prouver ce lien, non pas parce qu’il n’existe pas ; mais bien à cause de l’accumulation des biais. (Voir article : Pourquoi les études ne suffisent pas ?)
Les testings n’incluent pas les nouveaux paradigmes de toxicologie
Je ne pense pas me tromper en disant que l’Europe a l’une des politiques les plus strictes dans le monde en matière de législation des pesticides. Le problème principal est que l’effet perturbateur endocrinien, l’épigénétique, la transmission sur plusieurs générations, une neurotoxicité subtile (et autres) ne sont souvent pas détectables dans les screenings réalisés. Par exemple, l’être humain a une plus grande vulnérabilité à certaines périodes critiques de son développement, notamment la période fœtale, la puberté, la grossesse et la ménopause.(3) Une exposition très brève et à faible dose d’une molécule perturbatrice du système endocrinien à cette période précise peut donner des conséquences des années après l’exposition. (4)
Pour faire simple, ces screenings ne prennent pas du tout en compte les nouveaux paradigmes toxicologiques propres aux perturbateurs endocriniens (voir article sur les particularités des perturbateurs endocriniens). Des pistes de testings plus “physiologiques” ou intégrants ces particularités seront discutés dans un futur article.
Ce tableau publié par Cecconi, montre quels pesticides sont suspectés d’agir comme perturbateurs endocriniens. Parmi ceux cités, on retrouve le fameux mancozèbe, pesticide le plus utilisé en Belgique (2x plus pulvérisé que le glyphosate) ; mais aussi le 2,4-D et l’atrazine, des molécules toujours utilisées sur nos sols.(5)
L’homme n’est pas un gros rat, la femme n’est pas une grosse rate
Les scientifiques se basent sur un modèle animal, bien loin de la réalité humaine et de sa complexité ; ces souris sont exposées à un seul pesticide et isolées de toute autre exposition toxique. Évaluer la toxicité d’un pesticide via les études animales telles qu’elles sont faites, c’est un peu comme se limiter à vérifier qu’on a bien lacé ses chaussures avant un saut en parachute. On peut continuer à le faire, ça coute moins cher, mais comme l’étude prouvant que cela provoquerait plus d’accidents qu’une vérification complète de son parachute n’a pas été réalisée, on continue de regarder ses lacets en croisant les doigts.
Stigmatisation de l’agriculteur
Les débats concernant l’agriculture de demain sont souvent assez médiatisés, portés par des associations, des politiques, des syndicats… Une tendance générale est de simplifier la question en opposant les “bons” agriculteurs engagés en bio, et les mauvais qui polluent la planète et détruisent notre santé. L’autre tendance serait de considérer le bio comme une alimentation de riches, déconnecte de la réalité de terrain. Or notons que ce n’est pas en accusant son prochain que l’on obtient sa collaboration. Ce doigt inquisiteur ne facilite pas la communication et le dialogue, et enfonce encore plus bas des agriculteurs déjà victimes de stigmatisations et de conditions de travail extrêmement difficiles. Il est dès lors important d’utiliser une stratégie de soutien des agriculteurs, et d’accompagner leur transition. La première personne à risquer sa santé dans le domaine des pesticides c’est bien lui, et pas le consommateur.
Les consommateurs sont-ils prêts à s’en passer ?
Au plus il y a de diversité sur une surface agricole, au moins elle sera vulnérable aux maladies, et donc au moins il sera nécessaire de recourir aux pesticides. Malheureusement, notre alimentation et notre mode de consommation sont tellement exigeants et les agriculteurs tellement peu nombreux que nous, les consommateurs, ne sommes paradoxalement pas prêts à se passer de pesticides. Nous pouvons continuer à accuser les politiques, les agriculteurs, et les industriels, mais tant que la consommation ne se tourne pas vers des produits locaux et de saison, le modèle agricole ne changera pas.
Ce qui ne m’inquiète pas
Peu de pesticides dans l’alimentation
Malgré que ce débat prenne beaucoup de place dans l’espace public, la quantité de pesticide dans l’alimentation est faible comparé aux autres sources de toxiques dans l’environnement. Le danger se situe plutôt du côté des agriculteurs qui manipulent ces produits, mais pour le consommateur, la durée de vie des produits utilisés étant souvent courte, le produit se dégrade en quelques heures, et ne se retrouve pas sur les fruits et légumes que nous mangeons. Il y a des toxiques tout aussi inquiétants dans notre environnement que les pesticides (poussières et retardateurs de flammes, plastifiants, antiadhésif, parabènes, …). Ces toxiques seront développés dans d’autres articles.
Un agriculteur ne pulvérise pas pour le plaisir
Nous sommes (la Belgique) plutôt bien placés en comparaison avec les autres pays européens. La quantité moyenne de substance active utilisée pour un hectare de terre en Wallonie est de 1,57 kg en 2015 (1). La moyenne européenne se situe à 1,68 kg/ha, la France est à 2,89 kg/ha (beaucoup de vignobles très consommateurs de pesticides), les USA sont à 0,76 kg/ha (beaucoup de prairies pour la production de viande) et le Japon atteint 13,69 kg/ha (6).
De plus l’utilisation de ces pesticides coûte cher à l’agriculteur, qui ne pulvérise pas par plaisir ou par inconscience. Un agriculteur pulvérise des pesticides parce qu’il n’a, à son échelle, pas d’autre choix viable. Les recettes économiques d’une année entière de travail peuvent littéralement pourrir dans un hangar si les produits récoltés ne sont pas pulvérisées avant leur stockage.
Système de régulation le plus strict du monde, paradoxalement
Comparativement aux autres législations, l’Europe a l’un des systèmes de contrôle le plus strict au monde. L’immense majorité des molécules prouvées délétères sur la santé ont été interdites depuis bien longtemps. Les molécules utilisées sont de moins en moins rémanentes et de moins en moins toxiques.
Si l’on interdit, par quoi remplace-t-on ?
Le principal problème posé par l’interdiction d’une molécule est qu’elle est alors remplacée par une autre, car ce n’est pas en interdisant une molécule qu’on fait disparaître le besoin qu’elle comblait. Il est parfois plus sage de poursuivre avec une molécule bien connue, que de changer pour des molécules sans études sur le terrain. La solution parfaite ne se situe donc pas dans l’interdiction simple de telle ou telle molécule, la solution est systémique et demande le développement d’une agriculture qui peux s’en passer.
Conclusion
Je ne pense pas que l’on parviendra à une révolution complète de l’agriculture (zéro-phyto) en une dizaine d’année. Si l’on garde une vision à court terme, il apparaît comme urgent de mettre en place des screenings toxicologiques un peu plus sérieux, indépendants et tenant compte de l’évolution de la toxicologie, afin d’écarter les molécules les plus problématiques et de mieux cibler l’impact de l’agriculture sur le sol et la vie en général.
Il est par contre primordial de mettre toute son énergie à résoudre la racine du problème. Les pesticides étants malheureusement nécessaires au modèle agricole qui les utilise, c’est en créant et encourageant une agriculture diversifiée, résiliente et de proximité, que l’on a les meilleures chances de rendre la production de pesticides obsolète.
Sources
1. CORDER, Comité régional PHYTO, Applied microbiology – Phytopathology (ELIM-ELI-UCL). Estimation quantitative des utilisations de produits phytopharmaceutiques par les differents secteurs d’activité. Service Public de Wallonie. 2017. 169p.