Les actions de lutte contre le changement climatique, c’est bon pour la santé !
22 juillet 2023
Sarah De Munck

Est-ce que les actions de lutte contre le changement climatique sont bonnes pour la santé ? Ces deux concepts semblent au départ assez éloigné l’un de l’autre. Pourtant, les actions pour lutter contre le changement climatique sont bénéfiques pour la santé. Cela a été décrit dans un article publié dans la revue « The Lancet Planetary Health » qui a calculé la réduction de mortalité qui sera liée aux différentes mesures pour lutter contre le changement climatique, comme l’électrification du parc automobile, l’amélioration de l’isolation des bâtiments etc… On vous en dit plus dans cet article !

L’accord de Paris (2015) contraint les pays signataires à viser une augmentation de température limitée à +2°C et exigent de ces mêmes pays de rédiger des plans d’actions climatiques pour répondre à cet objectif.  Au Royaume-Uni notamment, une étude compare 6 actions autour de l’alimentation, la mobilité, l’énergie et le logement, selon deux trajectoires d’ici 2050 : la première dite « Balanced Pathway » faite de mesures technologiques et comportementales modérées ; l’autre dite « Widespead Engagement Pathway » supposant des changements de comportement et de société plus radicaux. Le tableau original des mesures est disponible ici, et une traduction est disponible à la fin de cet article (annexe 1).

Quels liens avec la santé ?

Les actions prises en compte dans cette étude sont donc : une transition dans la production d’électricité (action 1), de carburants pour le transport (action 2) et d’énergie domestique (action 4) associée à de faibles émissions de gaz à effet de serre; l’augmentation de la part des déplacement en mobilité active comme la marche ou le vélo (action 3) ; l’amélioration de l’efficacité énergétique des habitations (action 5); et la réduction de la consommation de viande rouge et des produits laitiers  (action 6).  Les impacts sur la santé de ces différentes actions ont ensuite été estimés. Les changements attendus en termes de santé sont résumés dans le tableau en fin d’article (annexe 2).

La réduction de la pollution de l’air par des particules fines (PM2,5 ici) est supposée suivre la même tendance de réduction que les sources d’émission de gaz à effet de serre (si diminution de 15% des trajets en voiture, diminution de 15% des particules fines ambiantes). Dans ce cas, selon les deux trajectoires, la réduction oscillerait entre 27 et 33%, et est surtout acquise grâce à la diminution des demandes énergétiques des logements (suivi par le transport et l’approvisionnement en électricité).

Selon l’OMS, la pollution de l’air est responsable de 24 % des AVC et de 25 % des infarctus dans le monde. Elle est également responsable de nombreuses maladies pulmonaires, neurologiques, de diabète ou de troubles de la reproduction. Globalement, la pollution de l’air est impliquée dans 43% des maladies non-transmissibles. C’est la deuxième cause de décès pour les maladies non infectieuses, juste après la cigarette. (1).

Cette réduction de pollution de l’air se fera donc principalement par l’amélioration de l’isolation des bâtiments, qui est un levier majeur pour réduire contre consommation d’énergie. Elle a l’avantage d’améliorer également le confort sonore et thermique des habitations. Selon l’Agence européenne pour l’environnement (EEA), 20% de la population européenne est exposée à des niveaux de bruits néfastes pour la santé : perturbations du sommeil, stress chronique entrainant obésité, maladies cardiovasculaires, anxiété/dépression, perte de productivité au travail…  Les transports (trafic routier, ferroviaire et aérien) constituent la source principale de pollution sonore. Réduire les transports et améliorer l’isolation des bâtiments se renforcent donc dans les effets vertueux sur la santé, en termes de pollution sonore et de qualité de l’air.

Dans la rénovation des bâtiments, une attention particulière doit être portée sur la ventilation : en isolant mieux, la ventilation peut être altérée détériorant ainsi la qualité de l’air intérieur, par l’apparition de condensation voire de moisissures. Une solution est apportée par les matériaux isolants écologiques, à base de végétaux qui ont l’avantage d’être plus « respirants », en plus de servir de stock de carbone. Ils bénéficient alors à la santé et à l’environnement.

En augmentant la part de déplacement en mobilité active, en plus de réduire les émissions de particules fines (PM2,5), la sédentarité est diminuée pour les groupes d’âges qui sont déjà actifs physiquement et pas uniformément pour toute la population. En effet, rouler à vélo requiert des compétences physiques qui peuvent être limitées avec l’âge. Un européen passe en moyenne 7h à 7h30 en position assise par jour. Selon l’OMS, la sédentarité entraine une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires et de diabète bien connu. Mais également, elle favorise l’apparition de dépression, d’anxiété ou même de cancer. D’autre part, il y a plus de risque d’accident de la route s’il y a une augmentation du trafic vélo sans aménagement correct des voiries. Il y a donc un besoin que les mesures politiques au sein de ces trajectoires soient soigneusement choisies afin de maximiser les bénéfices pour la santé humaine.

En végétalisant l’alimentation, l’étude propose que les produits laitiers et la viande sont remplacés par ce qui est déjà mangé en moyenne au Royaume-Uni, en gardant le nombre de calories ingérées constant. Pour la trajectoire la plus ambitieuse, la consommation de fruit augmenterait de 18g/j, en légumes de 22g/jour et en légumineuses de 7g/jours. Ces changements mineurs ont un impact positifs en terme de santé, en améliorant les apports et légumes, fruits et fibres dans l’assiette.

D’autres régimes alimentaires ont été proposés pour résoudre l’équation d’une alimentaire saine ET durable, comme le EAT-Lancet, qui permet de nourrir 10 milliards d’êtres humains de façon soutenable. Dans ce modèle, la consommation de légumineuse proposée est de 500 grammes par semaine, et la viande rouge (bœuf, porc, agneau) est limitée à 100g par semaine. Selon cet article, adopter un tel régime alimentaire à l’âge de 20 ans, ferait gagner 10 ans d’espérance de vie à une femme et 13 ans à un homme. Ce qui est assez révolutionnaire dans cette étude c’est que les années de vie gagnées restent considérables, peu importe l’âge de modification de régime : en changeant à 60 ans, le gain est encore de 8 ans et à 80 ans, on gagne encore 3,5 années de vie. Ce sont les légumineuses (lentilles, haricots rouges et blancs, pois cassés…) qui participent fortement à cette amélioration de la santé. Car en augmentant uniquement ces portions, on gagne 2 années de vie !

Conclusion

En passant à des combustibles bas-carbone pour les logements et le transport, en augmentant le végétal dans son assiette et en augmentant le transport actif, les auteurs concluent que ces actions peuvent mener à une augmentation des années de vies cumulées (allant jusque 20 000 années de vie en plus par 100 000 habitants). En somme, la mortalité recule si l’on met en place ces actions.

C’est ce qu’on appelle les co-bénéfices en santé et environnement. Ce sont les actions favorables à la santé humaine qui visent à réduire les dégradations environnementales. Ces actions sont résumées dans un brillant article de la revue médicale suisse. Mais comment agir en tant que soignant ? « Concrètement, il peut s’agir pour les médecins d’aborder certaines questions directement avec les patients comme la mobilité active, l’alimentation, un plus grand contact avec la nature, voire discuter de choix énergétiques ou d’engagement communautaire comme le recommande la WONCA (association mondiale de la médecine de famille) »

De nombreuses actions proposées dans les plans de lutte contre le changement climatique ont de bonnes chances d’améliorer également la santé humaine. En diminuant les expositions environnementales néfastes (pollution de l’air, particules fines) et en promouvant des habitudes de vie plus saines (mobilité active, réduction de la viande…). Cependant, certaines stratégies peuvent impacter négativement la santé : en améliorant l’isolation des bâtiments, la ventilation peut être plus difficile détériorant ainsi la qualité de l’air intérieur. Il y a également plus de risque d’accident de la route s’il y a une augmentation du trafic vélo sans aménagement correct des voiries. Il y a donc un besoin que les mesures politiques au sein de ces trajectoires soient soigneusement choisies afin de maximiser les bénéfices pour la santé humaine.

Les annexes

Annexe 1 : tableau résumant les trajectoires « Balanced » et « Widespred Engagement » au Royaume Uni.

Mesures« Balanced pathway »« Widespread Engagement Pathway »
ENERGIE Augmentation des énergies renouvelables+ 450% d’ici 2050, phase-out biocarburant et gaz pour 2035, augmentation puits de carbone et nucléaire pour besoins résiduels+ 470% d’ici 2050, phase-out biocarburant et gaz pour 2035, augmentation puits de carbone et nucléaire pour besoins résiduels
MOBILITE Utilisation de la voiture+20% de kilomètres, avec transition du thermique vers de l’hybride, de l’électrique et hydrogène+2% de kilomètres avec transition du thermique vers de l’hybride, de l’électrique et hydrogène
MOBILITE Mobilité active-17% de trajets en voitures au profit des trajets à pied et à vélo-33% de trajets en voitures au profit des trajets à pied et à vélo
LOGEMENT Utilisation de combustible par les ménages+ 87% de la demande en électricité et phasing out des énergies fossiles+ 89% de la demande en électricité et phasing out des énergies fossiles
LOGEMENT Amélioration des performances énergétiques des résidences65% des résidences rénovées en 2030 allant jusque 100% en 205075% des résidences rénovées en 2030, allant jusque 100% en 2050
ALIMENTATION Réduction de la consommation de viande et de produits laitiers-20% de réduction d’ici 2030, allant jusque 35% en 2050-20% de réduction d’ici 2030, allant jusque 50% en 2050

Annexe 2 : Tableau résumant les impacts sur la santé attendus des différentes mesures de lutte contre le changement climatique.

MesuresImpact sur la santé
ENERGIE Augmentation des énergies renouvelables :  production d’électricité associée à de faibles émissions de gaz à effet de serreTransition vers l’électricité bas carbone et diminution de 25 à 35% des expositions aux PM2.5
MOBILITE Utilisation de la voiture :  carburants associés à de faibles à faible émission de gaz à effet de serre pour les transportsTransition vers l’électricité bas carbone et diminution de 25 à 35% des expositions aux PM2.5
MOBILITE Mobilité activeDiminution de la sédentarité Diminution des de 25 à 35% des expositions aux PM2,5
LOGEMENT Utilisation de combustible par les ménages : carburants associés à de faibles à faible émission de gaz à effet de serre pour les logementsTransition vers l’électricité bas carbone et diminution de 25 à 35% des expositions aux PM2.5
LOGEMENT Amélioration des performances énergétiques des résidencesTransition vers l’électricité bas carbone Amélioration du confort thermique et sonore et diminution des expositions de 25 à 35% aux PM2.5
ALIMENTATION Réduction de la consommation de viande et de produits laitiersAugmentation de la consommation de fruits, légumes et légumineuses