Les stratégies de transition : quelles initiatives en première ligne ?
21 juin 2023
Sarah De Munck

L’appel de l’Organisation Mondiale des médecins de famille (WONCA)

En 2019, la WONCA (Organisation mondiale des médecins de famille), publiait une déclaration appelant les médecins de famille à agir en faveur de la santé planétaire[1]. Selon cette institution, le médecin généraliste devrait devenir un vrai pilier en termes de communication et d’éducation à l’environnement. Il cumule de nombreuses qualités : le médecin de famille jouit d’une position en première ligne dans la protection de la santé, et est considéré comme une des sources d’information les plus fiables par la population. Il possède un bon capital confiance, sait adapter son discours aux réalités de ses patients. Il a une vision transversale des problématiques, une bonne connaissance du tissu social d’une région, il peut être attentif aux co-morbidités, aux fragilités, aux projets de grossesse notamment. Il a également une bonne connaissance des enjeux de terrain, de l’habitat, des fragilités d’une région (distribution spatiale des maisons de repos, des pharmacies, des patients fragiles…). Enfin, il incarne une certaine neutralité politique et est en dehors d’intérêts financiers.

En 2019, la WONCA a donc émis ces 8 pistes d’actions prioritaires pour la première ligne, résumées ci-dessous :
« En tant que cliniciens, nous devons :

  1. Reconnaître l’impact du changement climatique sur la santé de nos patients.
  2. Être familiarisés avec les maladies que le changement climatique implique ou aggrave :  maladies respiratoires, allergiques, infectieuses, cardiovasculaires, leur prévalence et leur impact sur la réponse aux traitements.
  3. Acquérir les compétences en communication climatique et contribuer à l’efficacité des messages, ce qui est important pour répondre aux préoccupations des patients
  4. Soutenir les campagnes de sensibilisation à : l’alimentation végétale, aux transports alternatifs et actifs, aux choix énergétiques, à la reconnexion à la nature et aux liens sociaux, à l’accès à la contraception et réduire le gaspillage de médicaments.
  5. Être informés sur les émissions (GES) liées aux soins de santé et adapter nos pratiques en fonction.
  6. Réduire les émissions liées aux soins de santé en accordant la priorité aux soins préventifs et en utilisant judicieusement les ressources.
  7. Montrer l’exemple 
  8. Être actif dans des groupes d’actions sur le changement climatique et santé environnementales en se fondant sur l’evidence-based, communiquer avec les médias et les parties prenantes pour sensibiliser à la santé planétaire. »

Ils en appellent à agir dès maintenant pour maintenir la santé de la planète et de ses patients.

Les professionnels de santé se mobilisent pour l’environnement

Cette mobilisation des soignants dans les débats environnementaux a de quoi étonner. Pourtant, de nombreuses initiatives émergent à travers le monde pour porter la voix de ce nouveau concept, la santé planétaire[2]. La prévention est un des piliers de la médecine générale. La pollution (de l’air, des eaux, du sol…), les catastrophes climatiques, l’éco-anxiété, l’effondrement de la biodiversité sont tous des facteurs qui influencent la santé de populations.  Face à ces enjeux, nous nous sentons souvent impuissants en tant que soignants. A travers de nombreux axes, la santé planétaire caractérise les liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé. Elle permet d’intégrer des facteurs de prévention environnementale dans la pratique de la médecine, dans le but d’améliorer la santé globale, c’est-à-dire des humains, de l’environnement et du monde animal, selon le concept « une seule santé ».

Ces interrogations ont commencé en 2015, avec le lancement de la Planetary Health Alliance[3], un consortium composé de plus de 300 universités, d’instituts de recherches, d’organisations gouvernementales et non gouvernementales ayant pour but de comprendre et réguler les impacts des changements environnementaux sur la santé. En 2017, la revue The Lancet Planetary Health[4] voit le jour, rassemblant des milliers d’articles sur le sujet. Ces mouvements amènent un message d’engagement dans une médecine plus holistique et éthique, bénéficiant à l’ensemble des écosystèmes et des générations futures.

Commençons par le commencement : dresser le tableau des enjeux. La fresque du climat[5] est un atelier interactif qui permet de poser les bases des causes du dérèglement climatique et ses conséquences. Les liens avec la santé vous sauteront aux yeux : augmentation des maladies vectorielles telles que la malaria, la dengue ou la chikungunya (déjà présent dans le sud de la France), insécurité alimentaire à la suite de sècheresses ou inondations, entrainant famine et migration massive, inondations et canicules annuelles… Le système de soin doit se préparer à faire face à ces enjeux. Ensuite, les pistes d’actions possibles. Cet article va tenter de décrire quelques acteurs-clés à travers le monde qui travaillent à rendre le système de santé plus vertueux et résilient sur les enjeux climatiques. A travers 3 pistes clés : Informer, former et agir !

INFORMER

Le Collège de Médecine Générale en France a développé un projet en santé planétaire et en a fait une de ses thématiques centrales. Avec des outils à disposition en ligne, des affiches pour salle d’attente, des actions de sensibilisation sur la promotion d’une alimentation équilibrée et de saison, sur l’impact d’une mauvaise gestion des médicaments, sur la réduction des déchets au cabinet, la rationalisation des trajets, etc.

Comme dit précédemment, le site web de l’alliance pour la santé planétaire (the Planetary Health Alliance) est truffé de ressources : un inventaire des associations actives dans le domaine, un livre « Planetary Health » véritable syllabus des enjeux, mais aussi une proposition de cadre pour mieux enseigner les thématiques de santé-environnement.

Health Care Without Harm est une association internationale qui travaille pour transformer plus profondément le secteur de la santé pour diminuer son empreinte écologique, et l’ancrer dans une dynamique de durabilité. Ils travaillent sur différentes thématiques comme : les déchets médicaux, les médicaments, les liens climat et santé, les produits chimiques etc. Ils ont par exemple publié un rapport sur “Comment imaginer un système de soins de santé sans plastique ?”. Ils organisent très régulièrement des webinaires sur ces sujets, qui sont accessibles en ligne.

A destination des professionnels de santé, We Link Care est une plateforme de partage de savoir pratiques et théoriques en santé. Une section « environnement » existe et rassemble des mini-webinaires ou des capsules vidéo de vulgarisation pour se former sur la question. Par exemple : Impact carbone des inhalateurs et comment les prescrire ? ou encore Les perturbateurs endocriniens, qu’est-ce que c’est ?

FORMER

Avec la SSMG (Société Scientifique en Médecine Générale), soutenue par la COCOM, nous développons depuis quelques années des projets de formations.
Un programme « Médecin relais » à destination des soignants en première ligne, et un programme « AHIMSA » à destination des services de gynécologie, pédiatrie et néonatologie à l’hôpital. Ces deux programmes de formations en plusieurs modules ont pour but d’accompagner les soignants et acteurs de la santé aux enjeux du changement climatiques et à l’impact des perturbateurs endocriniens et autres polluants chimiques sur la santé.

Des projets de thèse et de travail de fin d’étude sont également régulièrement soutenus et accompagnés par notre équipe à la SSMG, comme « Quelles actions concrètes un médecin généraliste peut-il mettre en place pour ancrer sa pratique dans une dynamique de transition ? » ou « Comment améliorer la prévention concernant les perturbateurs endocriniens chez la femme enceinte et notamment ceux présents dans les cosmétiques ? »

Une dizaine de e-learning sont également disponible en ligne (métaux lourds, air extérieur, bruit, changement climatique, moisissures, multi-expositions, perturbateurs endocriniens, problématiques locales, produits chimiques…). Il y a deux liens différents pour se connecter, car ces modules sont accrédités pour les médecins : Pour les médecins  Pour le grand public

Coté facultaire, le Centre Académique de Médecine Générale à mis en place les premières heures de cours de santé environnementale en 2022 à destination des master 1 ! En formation continue, deux certificats universitaires sont désormais disponibles en Belgique, à l’ULB ou à l’ULG. En France, on retrouve un DIU en santé environnementale à Poitiers ou Bordeaux et un DU en santé environnementale à Montpellier.

Mais le secteur spécialisé aussi se mobilise. En pédiatrie, c’est l’International Pediatric Association qui a lancé un groupe de travail il y a plus de 20 ans déjà, pour travailler sur les questions environnementales. En 2005, un institut a vu le jour, le International Pediatric Environmental Health Leadership Institute, avec pour mission de mieux préparer les pédiatres aux enjeux environnementaux.

AGIR

L’hôpital pédiatrique de Boston a créé un centre de santé environnemental, qui prend en charge tous les enfants et adolescent qui ont été exposés à des produits toxiques comme le plomb, l’arsenic, les pesticides, le mercure, les solvants, des peintures etc… Leur expertise particulière est complétée par des projets de recherches en pédiatrie environnementale. Par exemple : comment le plomb affecte les populations pédiatriques selon leur âge ? Comment traiter une intoxication au mercure en pédiatrie ? À quelles expositions sont confrontés les adolescents déjà sur le marché du travail ? Quelles sont les connaissances manquantes des autres professionnels de santé au sujet de la pédiatrie environnementale ? Comment faire de la promotion à la santé-environnementale en pédiatrie ? Leur site internet regroupe également des ressources éducatives autour du changement climatique : Comment réagir en cas d’inondation, de canicule, d’apparition de maladies infectieuses, et comment s’y préparer au mieux.

Quelques livres proposent des pistes pour améliorer le cabinet de santé en termes d’écoresponsabilité. Citons le Guide du cabinet de santé écoresponsable de Alice Barras (et la version dentaire de Jean Barret). Le site Doc-durable.fr, en lien avec le CHU de Rennes, propose un outil en ligne pédagogique pour proposer des actions simples et efficaces de développement durable dans les cabinets.

Au Royaume-Uni, les sites Greener Practice [6], ou encore Green Impact for Health[7] créé par le
Royal College of General Practitioners se donnent pour mission d’encourager les soignants à prendre des mesures concrètes pour une pratique plus durable, en mettant en ligne des guides et outils.

Des labellisations se mettent également en place : Maternité Eco-Responsable, ou encore le Label EcoKiné.

Et enfin, des actions de désobéissance civile émergent à travers le monde. La désobéissance civile, c’est une forme d’opposition active, et de façon non-violente qui a pour but de générer des perturbations et d’attirer l’attention. Au Royaume-Uni, un groupe actif « Doctors for Extinction Rebellion » a vu le jour et a mené une action « Climate corpse » en mettent en scène des cadavres pour illustrer les impacts sanitaires des écocides. Cette action a été reproduite à plusieurs reprises en Europe.

Le changement climatique est aussi une bonne opportunité de débattre de  l’importance du rôle du médecin dans les mouvements citoyens. La société attend-elle du médecin une certaine neutralité qui l’empêcherait de manifester ?  Le militantisme est –il compatible avec le rôle de médecin ?

Conclusion

Nous pouvons être acteurs du changement en nous engageant, en se formant, en informant nos patients et les autorités des évidences scientifiques autour de la santé planétaire. Les initiatives ne manquent pas, et à travers le monde c’est un véritable réseau de professionnels de santé qui s’engagent dans ces thématiques. N’hésitez pas à parcourir ces ressources et à en user autour de vous !


[1] https://www.wonca.net/site/DefaultSite/filesystem/documents/Groups/Environment/2019%20Planetary%20health.pdf

[2] S. Myers, H. Frumkin, editors. Planetary Health : protecting nature to protect ourselves. Washington : Island Press. 2020

[3] https://www.planetaryhealthalliance.org/

[4] https://www.thelancet.com/journals/lanplh/home

[5] https://fresqueduclimat.org/

[6] https://www.greenerpractice.co.uk/

[7] https://www.greenimpact.org.uk/giforhealth