Tous à l’ombre !
14 juillet 2022
Sarah De Munck

Pourquoi s’applique-t-on généreusement de la crème solaire ? Pour éviter les coups de soleil pardi! Mais aussi pour se protéger des cancers de la peau ! Eh bien, figurez-vous que, contrairement aux idées reçues, la crème solaire ne protège pas contre tous les cancers de la peau, comme le mélanome par exemple. Plus d’explication dans cet article.

Est-ce que la crème solaire est vraiment la solution magique pour se protéger contre les cancers liés au soleil?

Tout d’abord, l’incidence du mélanome augmente à travers le monde. D’après l’institut national des cancers en France (1) c’est l’un des cancers dont l’incidence comme la mortalité ont significativement augmenté depuis 40 ans, avec en 2015, 350 000 cas par an, et 60 000 décès recensés au niveau mondial. Plusieurs facteurs expliquent cela : on dépiste mieux qu’avant et donc on en diagnostique beaucoup plus, mais cela pose également la question de l’efficacité de la crème solaire, de plus en plus utilisée à travers le monde.

Les auteurs d’une méta-analyse sur le sujet expliquent (2) : « Les preuves cumulées avant les années 1980 ont montré une association positive relativement forte entre le mélanome et l’utilisation d’un écran solaire. La force de l’association entre le risque de cancer de la peau et l’utilisation d’un écran solaire a constamment diminué depuis le début des années 1980, et l’association n’était plus statistiquement significative à partir du début des années 1990. » Ils continuent en précisant : « Bien que les données actuelles ne suggèrent aucun risque accru de cancer de la peau lié à l’utilisation d’un écran solaire, cette revue systématique ne confirme pas les avantages protecteurs attendus de l’écran solaire contre le cancer de la peau dans la population générale. ». Il existe d’autres études, scientifiquement robustes, qui rejoignent ces conclusions : il n’y aurait en fait pas de preuve scientifique que l’application de crème solaire protège du mélanome. (3–5)

De quels cancers de la peau parle-t-on ?

Il existe plusieurs types de cancers de la peau : d’un côté les carcinomes baso- et spinocellulaires, assez fréquents, ils sont aussi appelés non-mélanomes. Certains peuvent donner des métastases et être agressifs, mais la survie moyenne à 5 ans est située entre 95 et 100%. Vous vous souviendrez peut-être, notre Roi Albert en a même développé à plusieurs reprises. De l’autre côté, les mélanomes, rares mais graves avec en moyenne 25% de mortalité à 5 ans. C’est d’ailleurs ce qui a précipité la mort de Bob Marley.

Les non-mélanomes surviennent principalement sur les zones exposées au soleil, et la crème solaire a effectivement un effet bénéfique sur leur survenue. Elle protège également du vieillissement de la peau, de l’apparition de la ride. Ce qui de plus en plus remit en question, c’est l’efficacité de la crème solaire contre les mélanomes.

Tout d’abord commençons par lister ce qui augmente le risque de développer un mélanome :

  • Avoir une peau claire, sensible aux coups de soleils ou des taches de rousseurs
  • Une exposition précoce dans l’enfance avec des coups de soleil
  • Des expositions fortes intermittentes/récréative, au contraire des expositions continues au quotidien
  • Avoir de nombreux grains de beauté ou des antécédents familiaux de mélanomes
  • Etre immunodéprimé

Le soleil a donc un rôle majeur dans la survenue des mélanomes. Il expliquerait jusqu’à 65% de ce cancers. « Une exposition intense et de courte durée semble être un facteur de risque prépondérant en comparaison d’une exposition de longue durée pour la survenue de mélanome. Par ailleurs, une exposition précoce dans l’enfance jouerait un rôle important dans le développement de ce type de cancer. » (5)

Illustration tirée de Køster, 2010 (6)

Mais si le coup de soleil est un facteur de risque pour le mélanome, et que la crème solaire est efficace contre ces derniers, où est le problème ?

Cet article publié dans la revue médicale suisse (5) se demande, dans quelle mesure le sentiment de surprotection qu’offrent ces filtres solaires ne représente-t-il pas à lui seul un facteur de risque de développer un cancer cutané . « Force est néanmoins de constater qu’il n’existe pas d’évidence scientifique forte en faveur des écrans solaires pour prévenir la survenue du mélanome. De plus, bien qu’il soit difficile de le prouver, l’augmentation de l’incidence du mélanome pourrait être en partie expliquée par le sentiment de surprotection qu’offrent ces écrans solaires à une population de jeunes qui s’exposent au soleil par intermittence et souvent de manière intensive. »

Une autre danoise (7) a par ailleurs démontré que l’utilisation de crème solaire entraine une augmentation de la survenue de coups de soleil. En effet, la crème solaire est utilisée pour prolonger le temps d’exposition. Alors que l’utilisation d’autres moyens de protection comme les vêtements couvrants ou l’ombre est associée à une diminution du risque de telles brulures.

La face cachée des écrans chimiques

En parallèle, on entend de plus en plus parler des impacts des filtres UV sur la santé des coraux, mais encore assez peu de leurs potentiels impacts sur la santé humaine.

Des études in-vitro et in-vivo montrent que des filtres UV sont capables d’être cancérogènes, perturbateurs endocriniens et neurotoxiques. (8) On a quasiment aucune donnée expérimentale sur l’homme pour prouver la non-toxicité de ces produits.

Quelles substances y retrouve-t-on ?

Ce rapport du WECF France et Agir pour l’Environnement a analysé les substances contenues dans 71 crèmes solaires pour enfant disponibles en France. Dans leur enquête, la moitié  des produits à destination des enfants contenaient des perturbateurs endocriniens (PE) ! Par contre, ils ne se retrouvent pas dans les produits biologiques.

Cette liste rassemble les filtres UV qui sont suspectés être des PE : (9)

Octocrylène (55% des crèmes solaires)
Ethylexyl salicilate (54% des crèmes solaires)
Homosalate (22% des crèmes solaires)
Ethylhexyl methoxycinnamate (20% des crèmes solaires)
Benzophénone-3 (2.8% des crèmes solaires)
4-methylbenzylidene camphor (1.72% des crèmes solaires adultes)

Rappelez-vous que les perturbateurs endocriniens sont à éviter chez la femme enceinte et chez les jeunes enfants. On en a déjà parlé dans cet article. Certains pays ont par ailleurs interdit l’utilisation de tels produits sur leur sol. En cause, l’impact sur la vie marine et sur le blanchissement des coraux.

La benzophénone par exemple, a des effets sur les niveaux d’hormones thyroïdiennes, sur les taux de testostérone, la fonction rénale et l’âge de la puberté. Cela a été mis en évidence dans une revue systématique de la littérature qui conseille la réalisation de plus grandes études pour mieux comprendre ces phénomènes. (10) D’autres études montrent que ces molécules, lorsqu’elles sont appliquées sur la peau, se retrouvent effectivement dans le sang, à des taux (>0.5ng/ml) qui selon la Food and Drug Administration, nécessitent plus d’investigations. (11,12)
Des test in vitro montrent que  la benzophénone, le 4-methylbenzylidene camphor et l’octocrylène se lient aux récepteurs oestrogéniques et sont antagonistes des récepteurs androgéniques. (13) Des études animales montrent que l’octocrylène interagit avec le système reproducteur. (14)

Ces nombreuses études posent question. L’entièreté des enjeux n’est pas encore tout à fait comprise, y compris les implications termes de risque réel pour la santé publique. Est-ce que ces modifications observées en laboratoire ont un réel impact sur la santé ? Impossible à dire. Impossible également de confirmer que ces crèmes sont inoffensives. Ces entre-deux rendent le discours scientifique flou et difficilement audible. Pourtant c’est probablement là que l’on se rapproche de la vérité.

Les crèmes de jour anti-rides

Des filtres UV se cachent également dans les crèmes de jour, avec protection solaire. Si la crème solaire n’est utilisée que quelques semaines par an, la crème de jour est une source d’exposition quotidienne. Les utilisat.eur.rice.s devraient limiter au maximum l’usage de ces produits. L’utilisation d’une application de scan de produits cosmétiques, telle que INCI Beauty peut être d’une grande aide pour faire le tri au quotidien.

Mais quelle alternative ?

La meilleure manière de se protéger contre le mélanome est de se protéger contre les expositions intenses et intermittentes au soleil et les expositions précoces durant l’enfance. Pour se faire, tout le monde s’accorde sur un simple conseil : consommer le soleil avec modération !

Si l’exposition au soleil est inévitable, et sur base des connaissances actuelles, certaines crèmes offrent un profil de sécurité intéressant : il s’agit des crèmes solaire à filtre minéral. A base d’oxyde de zinc ou de dioxyde de titane, il s’agit des produits labellisé « bio » ou « protection récifs coralliens ». Elles sont d’ailleurs autorisées dans les réserves naturelles ayant interdit l’application de filtre chimiques.

Un point d’attention néanmoins, afin d’améliorer la cosmétique de ces produits, ces filtres minéraux sont parfois sous forme nano, il s’agit de particules infiniment petites, capables de traverser la peau et de pénétrer dans nos cellules (cela doit cependant être noté sur l’étiquette, cfr illustration ci-dessous). les effets santé ne sont encore que peu étudiés, prudence donc. (6)

Crédit photo : écoconso

Si l’on choisit d’utiliser une crème solaire à filtre minéral, il faudra la préférer sans nanoparticules. Elles ont la particularité de laisser des traces blanches sur la peau, tel un t-shirt liquide. Certaines sont teintées et permettent de rendre leur application plus agréable, voire tendance lorsque l’on voit les crèmes bleutées que les surfeurs s’appliquent sur le visage de nos jours.

Crédit photo : Biotylab.com

En conclusion

Le message clé est d’éviter au maximum les coups de soleil, ce sont eux qui sont dangereux.
En outre, deux précautions à prendre avec les crèmes solaires :

  • Le faux sentiment de sécurité entraine paradoxalement une augmentation du risque de coup de soleil.
  • Ces molécules pénètrent dans le sang et leur effet perturbateur endocrinien est très bien décrit, mais les impacts en termes de santé publique ne sont pas encore évalués.

Il existe un arsenal de protections contre le soleil, et les crèmes solaires devraient être le dernier recours lorsque l’exposition directe au soleil est inévitable. Par exemple :

  • Éviter les expositions entre 12h et 16h, préférer les zones ombragées. Utiliser un parasol ou un abri si besoin.
  • Porter des vêtements de protection, manches longues, t-shirt de baignade, lunettes, paréo et un chapeau.
  • Éviter les cabines de bronzage.
  • Si nécessaire, préférer une crème solaire à filtre minéral.

1.     Institut national du cancer. Epidémiologie des cancers cutanés – Détection précoce des cancers de la peau [Internet]. 2021 [cité 22 avr 2022]. Disponible sur: https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Depistage-et-detection-precoce/Detection-precoce-des-cancers-de-la-peau/Epidemiologie

2.     Silva ES da, Tavares R, Paulitsch F da S, Zhang L. Use of sunscreen and risk of melanoma and non-melanoma skin cancer: a systematic review and meta-analysis. Eur J Dermatol EJD. 1 avr 2018;28(2):186‑201.

3.     Huncharek M, Kupelnick B. Use of topical sunscreens and the risk of malignant melanoma: a meta-analysis of 9067 patients from 11 case-control studies. Am J Public Health. juill 2002;92(7):1173‑7.

4.     Sánchez G, Nova J, Rodriguez-Hernandez AE, Medina RD, Solorzano-Restrepo C, Gonzalez J, et al. Sun protection for preventing basal cell and squamous cell skin cancers. Cochrane Database Syst Rev. 25 juill 2016;7:CD011161.

5.     Caroline Gallay Shireen Dumont Omar Kherad. Efficacité des écrans solaires contre le mélanome [Internet]. Revue Medicale Suisse. [cité 22 avr 2022]. Disponible sur: https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2019/revue-medicale-suisse-635/efficacite-des-ecrans-solaires-contre-le-melanome

6.     Køster B, Thorgaard C, Philip A, Clemmensen IH. Prevalence of sunburn and sun-related behaviour in the Danish population: a cross-sectional study. Scand J Public Health. juill 2010;38(5):548‑52.

7.     Fivenson D, Sabzevari N, Qiblawi S, Blitz J, Norton BB, Norton SA. Sunscreens: UV filters to protect us: Part 2-Increasing awareness of UV filters and their potential toxicities to us and our environment. Int J Womens Dermatol. janv 2021;7(1):45‑69.

8.     INCI Beauty. Les filtres UV – INCI Beauty [Internet]. [cité 24 avr 2022]. Disponible sur: https://incibeauty.com/blog/383-les-filtres-uv

9.     Valle-Sistac J, Molins-Delgado D, Díaz M, Ibáñez L, Barceló D, Silvia Díaz-Cruz M. Determination of parabens and benzophenone-type UV filters in human placenta. First description of the existence of benzyl paraben and benzophenone-4. Environ Int. mars 2016;88:243‑9.