Pollution et kilos en trop: Obésité et polluants ?
25 février 2021
Sarah De Munck

L’obésité, le diabète, les maladies métaboliques sont en augmentation dramatique. La prévalence de l’obésité augmente depuis des décennies, elle a triplé depuis 1975 dans le monde. Aux USA comme en Europe, 17% des enfants et des adolescents sont obèses (définis comme ayant un IMC > 30). En Europe, c’est 52% de la population qui est en surcharge pondérale (IMC > 25). (1)

Cette augmentation est corrélée à des changements de mode de vie vers une alimentation hypercalorique et une augmentation globale de la sédentarité. Néanmoins malgré les efforts fournis en matière de prévention du surpoids et de prise en charge, l’épidémie continue. 

N’y aurait-il pas des causes environnementales là-dessous?

Les obésogènes : ces substances qui rendent obèses

Depuis les années 2000 des chercheurs ont mis en évidence un parallèle entre l’augmentation de la quantité de produits chimiques (dont des perturbateurs endocriniens (PE) dans notre environnement et l’augmentation de la prévalence de l’obésité. 

Est né de cela le principe de PE « obésogènes » (définis comme des substances étrangères à l’organisme pouvant perturber le développement de l’enfant et les mécanismes de contrôle et d’homéostasie au niveau de l’adipogénèse et de la balance énergétique), et « d’obésité programmée ».

Cela passe par le fait que le tissu adipeux, étant précédemment considéré comme un lieu de stockage est en réalité un organe endocrinien à part entière avec des capacités de sécrétion et d’action hormonale. Ces hormones activent des facteurs de transcription qui régulent la prolifération et la différenciation des adipocytes et le métabolisme des lipides, influençant ainsi la composition corporelle.

La leptine par exemple, est une hormone sécrétée entre autre par nos tissus adipeux et la paroi intestinale.  Son rôle est de diminuer l’appétit lorsque des aliments arrivent dans le duodénum afin de réduire la prise alimentaire. Lorsqu’elle est présente en grande quantité (quand on a une grande quantité de masse grasse), elle va également favoriser le « brulage de graisses » et augmenter la sensibilité à l’insuline. Tout cela pour permettre d’atteindre un équilibre, un juste poids.(2)

L’adiponectine est également secrétée par le tissu adipeux. Elle a un effet anti-diabétique en augmentant la sensibilité à l’insuline et anti-athéromateux. Des niveaux réduits d’adiponectine sont en partie expliqués par le polymorphisme génétique (2)

Les recherches ont montré que certains perturbateurs endocriniens pourraient agir sur l’adipogénèse et entraîner une prolifération d’adipocytes par des mécanismes épigénétiques et/ou des actions hormonales. Modifiant donc la différenciation cellulaire, les voies de signalisations hormonales peuvent mener à une programmation du fœtus vers un profil plus enclin à la prise de poids. Des effets obésogènes de perturbateurs endocriniens via leur impact sur le microbiote intestinal ont également été mis en évidence.

Ces molécules peuvent donc augmenter le nombre et la taille de nos cellules graisseuses, mais elles peuvent aussi modifier l’appétit et nous encourager à manger plus !

Mais de quelles molécules parle-t-on ?

Les études que je vais citer ci-dessous sont des études observationnelles, c’est à dire qu’on observe une corrélation entre deux variables. Cela ne montre pas de lien de causalité. Pourquoi n’avons-nous pas d’études qui peuvent (enfin) prouver une causalité ? Cela nous permettrait de nous débarrasser des incertitudes ! Simplement car des telles études ne peuvent pas, éthiquement, être réalisées. Vous vous imaginez, un protocole d’étude qui donnerait du bisphénol dans le biberon de 500 enfants, et un placebo dans celui des 500 autres ? On observerait l’évolution de leur état de santé par la suite ? Ce ne serait pas acceptable (et bien heureusement). Nous devons donc nous « contenter » de ce tsunami de preuves indirectes.

Cette première étude (3) cherche le lien entre les niveau d’adiponectine et de leptine, ainsi que l’insuline à la naissance et les quantités des polluants organiques persistants (pesticides organophosphorés, PCB et DDE), dans le sang de cordon. Ceci est donc le reflet de l’imprégnation prénatale de ces polluants et leur lien avec le métabolisme graisseux. Les résultats montrent que les taux de ces hormones sont corrélés à la présence des polluants. Au plus on est pollué, au moins ces hormones sont présentes et cela suggèrent un impact de ces polluants sur le métabolisme glucidique à la naissance.

Cette méta-analyse (4) est le résumé de 35 études cherchant un lien entre exposition aux phtalates (plastifiants) et maladies cardiovasculaires (obésité, hypertension, cholestérol, pré-diabète) chez les enfants et les adolescents. Elle montre une association entre les concentrations de phtalates et le BMI, le tour de taille, et les taux de LDL, de triglycérides et la glycémie. Les enfants ayant les plus hauts taux de cholestérol et de glycémie sont également ceux qui avaient le plus de phtalates dans les urines. L’exposition des mamans enceintes serait également associée à une augmentation des risques métaboliques chez les enfants, ainsi qu’une augmentation du poids des bébés à la naissance.

Cette revue de la littérature menée par Gutierrez (5) recherche l’impact des molécules perturbatrices endocriniennes (en général) sur l’anthropométrie des enfants.  Une association positive est retrouvée pour l’exposition prénatale aux PE et le pourcentage de masse grasse, le BMI, le tour de taille, le pli cutané et le risque de surpoids. Les molécules les plus étudiées sont les PFOA, les PCB et les phtalates. (5) Les PFOA’s peuvent perturber le métabolisme lipidique et stéroïdien. Ils augmentent notamment les mobilisations lipidiques par activation de voies cellulaires, et induisent l’oxydation des acides gras.(6)  Les PFOA (composés perfluorés) sont utilisés pour leur propriétés anti adhésives, comme le Teflon. Le film « Dark Waters », réalisé par Todd Haynes en 2019, relate d’ailleurs le combat d’un avocat contre les déversements de PFOA’s d’une usine proche de chez lui.

Grace aux dernières recherches (7), on a découvert que le Bisphénol A favorise l’adipogénèse, la dérégulation des lipides et du glucose, et l’inflammation des tissus adipeux et qu’il contribue ainsi à la survenue de l’obésité. Au niveau moléculaire, le BPA mime l’action de l’œstrogène sur l’homéostasie sanguine du glucose. Elle inhibe le relargage de l’adiponectine et stimule la sécrétion de l’IL6 et du TNF alpha. Le BPA stimule également la différentiation de fibroblastes en adipocytes. (6)
Outre les effets moléculaires mis en évidence, des indices cliniques ont également été observés. Wassenaar (8) et son équipe ont effectué en 2017 une méta-analyse qui retrouve une association significative entre l’exposition précoce au BPA avec une augmentation du poids et des taux de triglycérides. Selon cette autre revue de la littérature (7), l’exposition au BPA, peu importe à quelle période de la vie, est corrélée à une augmentation du poids et/ou du BMI. Les périodes prénatales, la petite enfance, et l’enfance semblent être des fenêtres critiques d’exposition durant lesquelles la sensibilité au effets du BPA est fortement accrue.  

Les perturbateurs endocriniens, coupables mais à quel point ?

Face à ce « tsunami de preuves » on peut difficilement rester dubitatif quant au rôle que peut jouer notre environnement sur notre poids.  La part attribuée à cet environnement reste néanmoins à clarifier.

L’équipe de Trasande (9) estime une participation d’au moins de 20% des PE à l’obésité tant adulte que pédiatrique. Les phtalates seuls seraient responsables de 54 000 cas d’obésité et de 20 000 nouveau cas de diabète chaque année en Europe. L’exposition prénatale au BPA causerait 42 000 nouveau cas d’obésité chez les enfants chaque année.  Au total, l’exposition aux perturbateurs endocriniens en Europe participerait à la prévalence de l’obésité, avec un coût estimé à plus de 18 milliards d’euros chaque année.  (10)

Conclusion

L’ensemble de ces données montrent que l’exposition à des facteurs environnementaux peuvent augmenter le risque d’excès de poids. Les effets de ces expositions sont d’une importance cruciale et non négligeable pendant certaines phases de la vie, autour de la grossesse et lors de la petite enfance. Je terminerai en citant Roya Kelishadi dans son article publié en 2013 « En tenant compte des effets transgénérationnels néfastes des produits chimiques obésogènes sur la santé humaine, l’épidémie mondiale d’obésité devrait être considérée comme un trouble complexe multifactoriel nécessitant de mettre l’accent sur les interventions de santé publique pour la protection de l’environnement. »(6)

L’équation simple « obésité = malbouffe » est à revoir ! Et pourrait devenir « obésité = prédisposition génétique (et épigénétique?) + polluants + sédentarité » ?

Sources

1.            Statistics | Eurostat. Taux d’obésité par l’Indice de masse corporelle (IMC) – % de la population de âgée de 18 ans ou plus [Internet]. 2021 [cité 25 févr 2021]. Disponible sur: https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/sdg_02_10/default/table?lang=fr

2.            Lafontan M, Viguerie N. Role of adipokines in the control of energy metabolism: focus on adiponectin. Curr Opin Pharmacol. déc 2006;6(6):580‑5.

3.            Debost-Legrand A, Warembourg C, Massart C, Chevrier C, Bonvallot N, Monfort C, et al. Prenatal exposure to persistent organic pollutants and organophosphate pesticides, and markers of glucose metabolism at birth. Environ Res. avr 2016;146:207‑17.

4.            Golestanzadeh M, Riahi R, Kelishadi R. Association of exposure to phthalates with cardiometabolic risk factors in children and adolescents: a systematic review and meta-analysis. Environ Sci Pollut Res. 1 déc 2019;26(35):35670‑86.

5.            Gutiérrez-Torres DS, Barraza-Villarreal A, Hernandez-Cadena L, Escamilla-Nuñez C, Romieu I. Prenatal Exposure to Endocrine Disruptors and Cardiometabolic Risk in Preschoolers: A Systematic Review Based on Cohort Studies. Ann Glob Health. 84(2):239‑49.

6.            Kelishadi R, Poursafa P, Jamshidi F. Role of Environmental Chemicals in Obesity: A Systematic Review on the Current Evidence. J Environ Public Health. 2013;2013:1‑8.

7.            Legeay S, Faure S. Is bisphenol A an environmental obesogen? Fundam Clin Pharmacol. déc 2017;31(6):594‑609.

8.            Wassenaar PNH, Trasande L, Legler J. Systematic Review and Meta-Analysis of Early-Life Exposure to Bisphenol A and Obesity-Related Outcomes in Rodents. Environ Health Perspect. 5 oct 2017;125(10):106001.

9.            Trasande L, Zoeller RT, Hass U, Kortenkamp A, Grandjean P, Myers JP, et al. Estimating Burden and Disease Costs of Exposure to Endocrine-Disrupting Chemicals in the European Union. J Clin Endocrinol Metab. avr 2015;100(4):1245‑55.

10.         Legler J, Fletcher T, Govarts E, Porta M, Blumberg B, Heindel JJ, et al. Obesity, diabetes, and associated costs of exposure to endocrine-disrupting chemicals in the European Union. J Clin Endocrinol Metab. avr 2015;100(4):1278‑88.